Que c’est triste, l’été
par Helen Faradji
L’été, c’est parfois traître. On relâche, on regarde en l’air, on préfère oublier. On se tient un peu loin des mauvaises nouvelles, par exprès, en se disant que le soleil qui brille saura tout soigner. Et puis, à un moment, ça nous rattrape. On se le prend dans le visage comme un boomerang. On ne peut plus vraiment faire semblant. Parce que la mort ne prend pas de vacances, elle.
La cinéaste Solveig Anspach est morte le vendredi 7 août dernier. L’annonce de son décès, il faut le dire, n’a pas vraiment fait de vagues au-delà des frontières hexagonales. Comme son cinéma, plus discret dans sa conquête des écrans internationaux malgré toute la passion et la vie qui l’animaient. Son cinéma qui s’était d’ailleurs dévoilé en 1999 en étant, on le comprend aujourd’hui, tristement prophétique. Haut les coeurs, sa première fiction après plusieurs documentaires, suivait en effet ce principe propre aux premières oeuvres: “on ne parle jamais aussi bien que de ce qu’on connaît intimement”. Et de l’intime, ce film en débordait. Ce film qui chroniquait le combat résolument tourné vers la vie et la lumière d’Emma, une jeune trentenaire, qui apprenait en même temps, comme dans les mauvais rêves, qu’elle était enceinte… et malade. D’un cancer du sein. Celui-là même que Solveig Anspach avait vaincu, pensait-on, et qui finalement a refait surface, sans invitation, pour avoir le dernier mot et l’emporter à 54 ans.
L’intime, donc, mais jamais comme une porte ouverte sur la geignardise, la complaisance ou l’égocentrisme. Bien au contraire. Née d’un père autrichien et d’une mère islandaise, Anspach, la cinéaste formée aux côtés notamment de Manuel Pradal, Émilie Deleuze ou Noémie Lvovsky au sein de la première promotion de la Fémis, avait le don de la transcendance. Pas celle qui débloque le spirituel ou élève l’âme, mais celle, plus rare, qui sait faire d’un oeil posé sur le quotidien le plus morne ou le plus anxiogène un véritable regard de cinéma. Par la grâce de ses actrices alter-ego, d’abord. Karin Viard, en premier lieu, qui fut sa Emma, forte et combative, attachante et lumineuse, mais sans qu’elle en devienne une héroïne sucrée et exemplaire. Didda Jonsdottir, ensuite, tourbillon islandais, poète insaisissable, dont Anspach avait fait le personnage déglingué de son plus noir Stormy Weather en 2003, plongée dans les eaux troubles de la folie, celle qui rend les femmes muettes, tourné dans son île natale au climat compliqué Vestmannaeyjar et coproduite par les frères Dardenne. Jonsdottir, devenue actrice par la force du regard de la cinéaste qui en refera alors son héroïne dans Back Soon en 2007, où elle se réinventait en héroïne comique, vendeuse de pot à la petite semaine cherchant à remodeler sa vie, avant de donner une suite plus loufoque à cet opus en 2013, Queen of Montreuil, en confiant ce rôle de femme étrange et hors-norme à Florence Loiret-Caille (l’année prochaine devrait sortir L’effet aquatique, troisième volet de cette trilogie décalée où les deux actrices devraient se retrouver). Entre les deux, plusieurs documentaires (dont le formidable Made in USA sur la peine de mort) et elle retrouvait Viard pour le touchant Lulu femme nue où une femme cherchait, sans tambour ni trompette, à trouver le chemin vers une vie moins étriquée, moins triste, moins conventionnelle.
Toujours le même fil rouge dans l’oeuvre: la liberté. Plus précisément, cette tension entre la réalité souvent contraignante pour les femmes, avec ses normes, ses dogmes, ses schémas sociaux intégrés depuis l’enfance, et le besoin vital de liberté, celle que l’on s’offre comme un cadeau en acceptant d’être singulière, différente, hors cadre. Sans jamais devenir pensums ou petits traités d’émancipation, ses films abordaient tout cela de la façon la plus naturelle qui soit, parfois avec une franchise aux limites de la brutalité, parfois avec un humour noir décalé, toujours avec une tendresse lumineuse qui ne se cachait pas. Pas d’apitoiement, la vie était dans ses films un combat qui se gagnait sans cacher ni ses larmes ni ses éclats de rires, en faisant de la fantaisie, de la curiosité et de l’appétit de précieux outils. Ses films étaient des victoires sur l’enfermement. Solveig Anspach était, comme les femmes qu’elle filmait avec tant d’attention, libre. Elle manquera.
Revue24images.com sera en vacances la semaine prochaine ! Soyez heureux, voyez de bons films, parlez-en et nous nous retrouverons tous, sereins et reposés le jeudi 3 septembre prochain !
Bon cinéma
20 août 2015