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Éditos

Qu’est-ce qu’un hit ?

par Helen Faradji

Depuis sa sortie en salles, le mastodonte Jurassic World, pourtant décrié par la critique et par tous ceux qui, un jour, se sont imaginés que leur cœur d’enfant ne serait pas piétiné par ce quatrième volet pourtant produit par le roi Spielberg, fait probablement mieux que tout ce que ses heureux géniteurs chez Universal avait pu imaginer. Nouveau, et impressionnant, record de 208.8 millions pour son démarrage en ses terres américaines (battant de peu le 207.4 millions amassés par les Avengers), sortie disséminée sur 4274 salles (un autre record), premier film à dépasser les recettes de 500 millions (524.4 pour être précis) internationalement pour son premier week end : à vrai dire, les chiffres sont encore plus terrifiants que le rugissement de l’Indominus Rex.

Terrifiant, oui, car même s’il se répète encore et encore que les chiffres ne sont pas gages de tout, restent qu’ils sont malgré tout toujours les indicateurs les plus fiables de « ce qui marche ou ne marche pas ». Pour le dire autrement, peu importe ce que vaut le film, ce qu’il a à dire sur le monde dans lequel on vit ou le plaisir réel de divertissement qu’il peut procurer, puisqu’il fracasse les records, il est un hit. Du genre à pouvoir sauver l’industrie qui était, jusque là prise comme une poule sans tête dans une course acharnée au succès disparu. Et aucun doute à avoir, il restera inscrit dans l’histoire comme tel.

Pourtant, Indiewire s’est insurgé cette semaine contre le succès de ces gigantesques bibittes et des « personnages » les entourant en semblant encore plus fabriqués qu’elles en en faisant le symbole d’un triste état de fait : celui d’un système détraqué où les films, en réalité, ne comptent plus. D’abord, parce qu’un tel raz-de-marée de box-office engloutit jusqu’au « désir (des spectateurs) pour des expériences originales » en embrumant l’essentiel à savoir que « le vrai pouvoir du cinéma – nous exciter avec de nouvelles possibilités – est trop souvent perdu dans le brouillard de la recette ». Ensuite parce qu’il incarne désormais une vision toute-puissante du divertissement décérébré qui fait également oublier que le genre peut – et doit – avoir des représentants plus nourrissants, ne se contentant pas d’ajouter du « wow factor » à une formule éprouvée, tel que justement il le met en abyme.

Si IndieWire donne à Mad Max : Fury Road cette place d’alternative plus qu’intéressante pour qui refuse de laisser son cerveau et son cœur au vestiaire à l’entrée de la salle de cinéma, les chiffres, toujours les chiffres, ont eux aussi élu un nouveau champion : le tonique et émouvant Inside Out, nouveau bébé des studios Pixar qui a plus que largement tiré son épingle du jeu en débarquant au cinéma le week end dernier. Voilà qui devrait rassurer ceux qui se désolent de voir les dino prendre toute la place ?

Oui, et non. Car comme on le soulignait dans Variety (pourtant une de ces publications ultra-friandes de résultats chiffrables et vérifiables pour mesurer la « qualité » des films), Inside Out n’a pas, et n’aurait pas pu, gagner. Et qu’il soit meilleur, plus inventif, plus allumé, plus drôle, plus divertissant, plus poétique, plus tout n’y change rien ! Car les chiffres n’y sont pas. Ainsi, Inside Out a récolté pour son premier week end d’exploitation 91 millions de dollars. Ce qui est aussi un record, soit celui du résultat le plus élevé pour un film original – qui n’est donc pas dérivé d’une suite ou d’une adaptation de comics -, record jusque là détenu par Avatar. Inside Out devrait donc logiquement « gagner » lui aussi sa place dans l’histoire. Mais il n’en sera rien, tout simplement parce qu’il n’a pas « gagné » ce dernier week end. Jurassic World, encore lui, en a en effet profité pour amasser 102 millions… Plus que Joie, Tristesse et leurs amis. Aussi bête que ça.

Or, comme on le souligne dans Variety, dans un monde dominé par « cette mentalité de courses de chevaux », ces résultats, et l’intérêt bien trop appuyé qu’on peut leur accorder pour juger ce qui est ou non un succès dans le merveilleux monde du cinéma, empêchent de voir qu’Inside Out a bel et bien réussi un triomphe, tant critique que public, que peu de films ont pu connaître.

Si le fait d’être numéro 1 peut évidemment aider les vendeurs de films à mieux assurer la carrière de leur poulain, reste cette logique où battre des records est presque devenu un argument artistique, est dangereuse. Car ce n’est pas parce que McDonalds a plus de restaurants sur le territoire mondial que les autres chaînes mondiales, et donc bénéficie de cette « aura » de gagnant savamment entretenue dans l’imaginaire collectif mondial, que ce que l’on y sert est bon pour la santé.

Bon cinéma, malgré tout.

 

 


25 juin 2015