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Éditos

Renaissance

par Helen Faradji

Après une journée passée à se demander, avec Twitter et ses amis, si la traduction du japonais à l’anglais était bel et bien la bonne et si le studio Ghibli, le mythique studio Ghibli, responsable de quelques-uns de nos plus beaux, originaux et poétiques rêves animés (celui imaginé par Miyazaki et son Spirited Away, pour ne citer que lui) allait oui ou non fermer – malheur, il cessera bien sa production de longs-métrages, incapable de survivre à la décision du grand Miyazaki de mettre fin à sa carrière -, il fallait une bonne nouvelle.

Et, les choses étant parfois bien faites par ailleurs en ce bas monde, elle est arrivée. En début de semaine, les journaux spécialisés se sont en effet frottés les mains : Kodak, sur une pente plus que descendante depuis de nombreuses années (en 10 ans, ses ventes ont chuté de 96% et elle s’est placée sous la protection de la loi sur la faillite en septembre dernier!), est sauvé. Mieux, la compagnie – la seule qui encore s’occupait de ces histoires – ne sort pas la tête de l’eau grâce à quelques transactions et contre-transactions financières, mais bien parce qu’une poignée de cinéastes a fini par faire entendre sa voix pour mieux réclamer le retour de l’indispensable, du mythique, du plus que cinématographique 35mm.

C’était le grand mantra des pleureuses ces dernières années. La pellicule disparue, c’est le cinéma qui disparaît avec elle. La profondeur de champ, la vraie. Les contrastes, les noirs plus riches, les blancs plus blancs, la beauté d’un paysage ou d’un visage à laquelle le numérique ne pourrait jamais rendre justice… Que le numérique ait démocratisé l’accès au cinéma ? Que la production et la diffusion en soient devienues moins chères ? Qu’il soit plus pratique et léger d’utilisation ? Oui, certes. Mais la pellicule… La magie n’est pas la même.

Comme au temps du vinyle lorsque le grand méchant CD était venu mettre en cause son existence, on trouvait à chaque coin de rue nostalgiques et puristes affirmant haut et fort que sans 35mm, le cinéma ne pouvait pas être tout à fait le cinéma. Autant de voix qui, en général, ne forment qu’un brouhaha ambiant, mais qui, cette semaine, ont tout de même fini par réussir à porter. Grâce, entre autres, à Martin Scorsese, J.J. Abrams (qui avait fait de la possibilité de tourner en 35 la condition de son engagement à réaliser les prochains Star Wars), Christopher Nolan, Judd Apatow ou Quentin Tarantino, tous ayant mené campagne auprès du gros Hollywood pour qu’elle reste cette usine à rêves qu’ils ont tous, apparemment, voulu secouer, grand bien leur fasse.

Comfirmant l’idée que le terme « auteur » veut bien encore dire quelque chose dans le merveilleux monde du cinéma, lesdits cinéastes ont en effet fait pression auprès des studios pour qu’ils mettent la main à la poche et que Kodak puisse continuer à produire des stocks de 35mm afin qu’eux puissent encore nourrir les imaginaires de milliers de spectateurs avides de pouvoir plonger dans l’écran. Que la plupart des salles aujourd’hui ne diffusent plus de 35mm ayant abandonné tous les systèmes de projection pour s’en remettre au numérique ne semble pour le moment pas un enjeu de la campagne des cinéastes… il faudra bien sûr y revenir.

Et Kodak a dit oui. Oui, il y aura encore de la pellicule 35mm. Oui, Martin Scorsese n’aura plus à émettre des communiqués énonçant « Everything we do in HD is an effort to recreate the look of film » ou Tarantino un autre notant « Digital projection is just television in cinema ». Oui, le cinéma sera sauvé.

Non, évidemment. Mais reste dans toute cette histoire de sauvetage par les cinéastes eux-mêmes d’un de leurs outils de travail privilégiés, quelque chose de très beau, d’inspirant même. Car comment ne pas voir dans cette fronde un soulèvement aussi pour que le cinéma ne soit pas considéré que comme une industrie, soumise aux diktats de rentabilité et de productivité ? La pellicule ne sera pas rentable, personne n’en est dupe. Elle coûtera cher. Elle sera compliquée d’utilisation, de diffusion, de préservation. Mais elle sera belle. Elle ne sera pas un gadget, mais bien cette pierre symbolique, impossible à déplacer, qui consolidera encore un peu plus longtemps cette idée fort rassurante que oui, le cinéma est bel et bien un art. Ce qui vaut, avouons-le, toutes les campagnes du monde.

Bon cinéma. En 35 ou non.


7 août 2014