Rendez-vous manqué
par Helen Faradji
Le moment était important, impossible à nier. Car depuis des mois, les camps s’affrontent autour de ce cinéma québécois en crise, mais si vaillant, déserté ici, mais tant applaudi ailleurs. Les piques fusent entre ceux qui le jugent lamentard et ne voient son salut qu’en la production de machines encore plus impersonnelles, encore plus lucratives, encore plus cyniques et ceux qui persistent à l’applaudir pour ce qu’il est, la plupart du temps, de l’art. Les couteaux volent bas entre les Guzzo de ce monde jugeant le cinéma québécois du haut de leur montagne de billets où ils ne sont, pourtant, faut-il le rappeler, assis que sur leur cul, et ceux qui, tous moyens dehors, ont décidé (Tout le monde en parle, l’émission radio Bouillant de culture) de donner la parole à ses artisans pour montrer définitivement que la bête à images en avait aussi dans le cerveau et que cette crise, si elle angoissait, était aussi l’occasion de remettre les choses à plat et de rebondir.
C’était probablement naïf, mais on attendait de cette 15e soirée des Jutra qu’elle réussisse l’impossible en mordant ce fruit défendu à pleines dents et défende ce cinéma en salles, et non du bout des lèvres pour donner l’occasion à Rémy Girard, animateur de ladite soirée, d’en tirer prétexte pour essentiellement rappeler qu’il n’avait pas été à l’affiche des films nommés et que ceci expliquait probablement cela. On attendait qu’elle ne se contente pas de célébrer un anniversaire en composant, par quelques extraits choisis de l’histoire de notre cinéma, un rythme artificiel, mais qu’au contraire, elle se serve d’hier et de cette histoire pour mieux regarder le présent et le futur. On attendait que le momentum soit embrassé pour que soit célébré non pas le manque d’imagination (Séraphin de retour pour remettre le billet d’or à Omerta, vraiment ?) et quelques egos, mais notre cinéma, dans son ensemble, dans sa variété et sa sincérité, dans ses échecs autant que dans ses succès (aurait-on oublié, lors de la préparation de ce gala, qu’en 2012, le cinéma québécois aura brillé à Sundance, Berlin, Cannes, Karlovy Vary et tant d’autres, et que, non, vraiment, ce n’est pas rien ?).
Si, bien évidemment, la soirée aura tout de même compté quelques moments touchants le contraire aurait été un comble et réjouissants (la leçon de direction photo par André Turpin valait véritablement le coup d’il), c’est finalement par celui qui aura le mieux symbolisé cette réussite espérée de tous, celle d’un film d’auteur populaire, dans C.R.A.Z.Y, qu’un maigre salut sera venu. Après un hommage improvisé et sans tenue, Michel Côté qui méritait mieux aura pourtant eu les mots justes et le regard fier pour rappeler l’évidence : que la valeur d’un pays se mesure aussi par son cinéma, pas seulement par son armada de F-35 et que le manque de curiosité pour ce cinéma était probablement son pire ennemi.
Et voilà exactement où le bât a blessé. Car voilà, en bout de compte, ce qui reste de ce gala qui n’aura pas su mettre en valeur ce cinéma qu’il prétendait louer, de ce rendez-vous raté pour le soutenir, le promouvoir, en donner le goût et le désir, de ce coche tristement manqué : le fait peu reluisant qu’un film comme Rebelle ait gagné 8 Jutra, représenté le pays aux Oscar et à Berlin, et n’ait attiré qu’à peine un peu plus de 16 000 spectateurs en salles ici. Quand même les Jutra pensent qu’il est de bon ton de demander aux trois jeunes des Parents de remettre des prix à des films qu’ils n’avaient visiblement pas vus, ce dont ils n’étaient pas loin de se vanter, on se demande sérieusement comment il va être possible d’inverser la vapeur
Bon cinéma hors gala.
Helen Faradji
21 mars 2013