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Éditos

Se parler…

par Helen Faradji

Être à Venise pour une première fois… Découvrir le plaisir d’un festival où règne une vraie dolce vita (les Italiens l’ont quand même inventée), ou l’on se rend aux projections sur le Lido en vaporetto, ou le café, meilleur ami du festivalier, est une pure merveille… Non, personne ici n’est à plaindre.
On se permettra toutefois de constater qu’il semble beaucoup plus difficile de faire émerger une ligne directrice forte qui unirait les 20 films de la compétition officielle qu’à Cannes, par exemple, où elle se dessine en général assez nettement et rapidement.
Tentons tout de même l’exercice en avançant que beaucoup de films, ici, paraissent se concentrer sur la question de la communication.
Par le truchement de la littérature d’abord, dans les deux grosses déceptions de cette première moitié de festival: le Wim Wenders (Les beaux jours d’Aranjuez, adapté d’une pièce de Peter Handke) dans lequel un écrivain observe ses personnages, assis devant lui sous une pergola deviser de première expérience sexuelle et de marais salin, dans une atmosphère bourgeoise et compassée proche du ridicule, et le Tom Ford (Nocturnal Animals) ou une femme reçoit et est bouleversée (mais pourquoi, grand dieu, pourquoi) par le manuscrit que lui envoie son ex. Passons, passons…
Se parler via l’écrit n’aura assurément pas inspiré. Mais du côté des communications plus directes, bien que compliquées, se sont produites de bien belles choses sur les écrans du Palais du Cinema. Par exemple dans le tout spielbergien première manière Arrival de Denis Villeneuve, film de science-fiction épurée à hauteur de femme ou une linguiste tente de décrypter le langage extra-terrestre mais où, surtout, Villeneuve, à la jolie candeur de nous rappeler que la catastrophe ne sera évitée que si l’on se parle, tous ensemble. Simple, peut-être, mais diablement beau.
Même beauté, même simplicité dans Frantz de François Ozon, offrande plus sérieuse de l’iconoclaste cinéaste, qui organise la rencontre entre une jeune veuve de guerre, en Allemagne, en 1919, avec un jeune Français, et qui, observant cette relation intime et la possible mais difficile réconciliation entre les peuples, parvient sans cesse à faire dialoguer la petite et la grande Histoire, l’hier et l’aujourd’hui.
Un petit détour du côté de la section Orizzonti aura également permis de retrouver cet intérêt pour la communication, cette fois directement entre les corps, grâce à la de plus en plus formidable Katell Quillévéré (Suzanne) qui, adaptant le Réparer les Vivants de Maylis De Kerangal, suit comment se déroule une transplantion cardiaque de la mort d’un jeune homme de 17 ans à l’opération sur une femme souffrant d’une maladie dégénérative. D’un corps a l’autre, donc, de la mort à la vie, mais aussi du corps hospitalier, observé dans ses gestes et actions les plus quotidiens aux drames extraordinaires vécus par ces patients et familles. Son humanité et sa délicatesse auront certainement été parmi les plus bouleversantes choses communiquées aux festivaliers ici.
La mort comme source de vie et de création, donc de communication, était d’ailleurs encore au coeur d’un des morceaux de choix de ce festival, un film si émotionnellement puissant qu’il a pu donner l’impression à ceux qui le regardaient d’être déchirés en deux comme de vulgaires feuilles de papier. Dans One More Time With Feeling (hors compétition), documentaire en 3D et en noir et blanc observant de l’intérieur le processus de création et l’enregistrement du dernier album de Nick Cave, Andrew Dominik aura probablement réussi à rappeler ce que le Cinéma, quand il est fait par des maîtres, peut le mieux: dire tout, sans jamais un mot ou une image de trop, sans jamais s’appesantir, mais en remplissant chaque atome du spectateur d’une plénitude qui aide, paradoxalement en faisant mal, à mieux vivre.
Se parler, dire, montrer, s’ouvrir à l’autre et au reste du monde, pour peut-être ne pas mourir tout de suite… Le Cinema peut ça, et Venise, cru 2016, nous l’aura rappelé de fort belle façon.

8 septembre 2016