Éditos

Sélection officielle… et très consensuelle

par Bruno Dequen

Les festivals de Sundance et de Berlin terminés, la planète cinéma se tourne désormais vers la dernière ligne droite menant au dévoilement du plus important – quoi qu’en disent ses détracteurs – évènement de l’année : le Festival de Cannes. Comme toujours, les rumeurs vont bon train, et les innombrables gérants d’estrade commenteront sans même avoir vu les films la conférence de presse qui aura lieu dans un mois. Entre un désir évident de séduction des Américains, la présence inévitable des « habitués » du festival, un équilibre impossible à trouver entre découvertes et valeurs sûres, la tâche qu’accomplit le comité de sélection cannois est scrutée à la loupe par des critiques impitoyables et des professionnels dont l’année – ou l’avenir – dépendra en grande partie des choix de Thierry Frémaux. Responsable de la programmation de Cannes depuis 2001 (comme délégué artistique sous Gilles Jacob puis délégué général depuis 2007), Frémaux est indéniablement l’un des personnages les plus influents du monde du cinéma.

À un mois du dévoilement de la sélection, donc, il n’y a pas de meilleur moment pour jeter un œil sur Sélection officielle, un journal de bord écrit par Frémaux entre le 25 mai 2015 et le 22 mai 2016, soit les clôtures respectives des deux derniers festivals. Mis à part une courte pause de quelques jours pour des vacances fin juillet-début août, toutes les journées du délégué général comportent une notice. Frémaux n’est certes pas le premier manitou de Cannes à publier un ouvrage. Ces dernières années, Gilles Jacob en a écrit quelques-uns. Toutefois, Frémaux est certainement le premier à écrire un compte-rendu aussi soutenu dans l’exercice de ses fonctions. Sur papier, Sélection officielle propose donc de nous convier « au cœur de la machine du plus important festival du monde ». Dans les faits, ce journal aussi attachant qu’irritant est évidemment trop préoccupé par la gestion des relations publiques pour être une véritable source d’informations inédites et percutantes. Ceci dit, il permet, à travers ses excès et ses silences, de découvrir la personnalité d’un véritable passionné de cinéma qui ne compte pas ses heures.

En effet, Frémaux est un bourreau de travail. La simple lecture de n’importe quelle semaine décrite dans l’ouvrage épuise le lecteur. Entre Lyon et Paris, Cannes et l’Institut Lumière, la France et le monde, Frémaux l’insomniaque occasionnel n’arrête jamais. Qu’il ait même pu tenir un journal pendant une année est presque incompréhensible. Évidemment, se présenter comme un travailleur acharné fait partie de la campagne d’autopromotion que cet ouvrage représente. Pour caricaturer un peu, comment pourrions-nous oser critiquer un homme qui, après avoir été à Paris le lundi, New York aller-retour le mardi et Madrid le mercredi est capable d’enchaîner sur une semaine composée de 14 (!) présentations par jour à Lyon pour son Festival Lumière… Sans parler de son travail d’édition du prochain ouvrage de Bertrand Tavernier la nuit, de sa participation à l’ouverture de nouvelles salles de cinéma à Lyon et de sa redécouverte de l’œuvre de Mikio Naruse dès qu’il a deux minutes à perdre…

On sent chez Frémaux, qui n’a de cesse d’insister également sur son enfance au sein de la banlieue lyonnaise, son amour pour Bruce Springsteen et sa connaissance de la chanson populaire française, un besoin profond de rappeler qu’il ne vient pas d’un milieu privilégié, qu’il a fait sa place à la sueur de son front et qu’il est un bon vivant dénué de préjugés. Impossible de comptabiliser le nombre de passages dédiés à la description de ses soupers bien arrosés avec d’innombrables célébrités qui, évidemment, ne tarissent jamais d’éloges sur leur ami. Un exemple, parmi tant d’autres : le producteur Paul Rassam après un déjeuner : «  Je suis un homme seul et parmi les choses que j’aime il y a de dîner avec vous. » Sélection officielle n’a de cesse de faire ce grand écart entre modestie du travailleur ordinaire et autopromotion outrancière. Avec, en creux, la grande absente : la famille. Quelques mots épars, la mention d’un fils très malade, et la prise de conscience que de nombreux passages dédiés à l’importance du cinéma et des amis servent peut-être à convaincre l’auteur de l’ouvrage qu’il mène une vie qui a du sens.

Le 17 mars dernier, moins d’un tiers de la compétition cannoise avait été sélectionné, Sean Penn s’en allait en compétition avec un film non terminé et il restait encore à Frémaux et son équipe des centaines de films à voir avant de pouvoir annoncer la sélection. Après avoir lu Sélection officielle, on ne sait peut-être pas davantage ce que pense véritablement le délégué général du plus grand festival de films du monde, mais on a certainement une meilleure idée de son agenda des semaines à venir.

 


17 mars 2017