Sois belle et tais-toi ?
par Helen Faradji
Elle, de Paul Verhoeven, insulte au genre féminin ou grand film poil à gratter optant pour un féminisme de confrontation ? Et Arrival de Denis Villeneuve, réhabilitation de la douceur, de l’intelligence, de l’ouverture à l’autre et de l’empathie comme valeurs féminines débarrassées de toute mièvrerie et héroïne de science-fiction réinventée ou exemple de plus que dès que le cinéma de masse se met en tête de vouloir suivre une femme, il reste incapable de se défaire de ses préjugés et de son sens du patriarcat bien établi ?
Les dernières semaines auront en tout cas assurément rouvert le débat, en le ramenant pourtant toutefois à une question de perception. Autrement dit, une forme comme une autre des bons vieux goûts et couleurs, impossibles à réellement utiliser comme outils de mesure quantifiables ou objectifs, évidemment inaptes à tout à fait aller au fond de la question et à nous aider à ne plus prendre le mot « féminisme » pour une valise à remplir de tout et son contraire.
Cette semaine, pourtant, certains, ou pour être plus précis, la société américaine d’analyse de données Polygraph, a voulu prendre le taureau par les cornes et parler chiffres afin de dévoiler un tableau de l’état des choses non plus résumables à des impressions, mais à des éléments concrets. Prenant pour objet les scripts de 8000 films hollywoodiens, l’étude – la plus large à ce jour – s’est ainsi intéressée à une dimension particulièrement nette et quantifiable des œuvres : leurs dialogues et leur répartition entre personnages masculins et féminins.
« Qui parle ? », comme l’on dit dans une émission à la mode ? Les hommes, les hommes et encore les hommes. On l’aurait parié. Car, si les comédies romantiques ou les films à visée plus étendue (même l’épisode de Star Wars le plus récent) sont bel et bien frappés par cette domination parlée des messieurs, le plus triste là-dedans est probablement qu’il n’y a au fond rien de très surprenant dans ces données.
Reste le cas, fort important, des films pour enfants. Important, car ils forment, dans leur grande majorité, l’univers culturel de nos chères têtes blondes et ont, à ce titre, forcément valeur exemplaire. Ce sont par eux, entre autres, que des modèles s’établissent, des valeurs se transmettent, des habitudes se prennent. L’étude de Polygraph est en ce sens un poil plus déprimante. Sur 30 films analysés issus des studios Disney et Pixar, tel que le rapportent en effet Les Inrocks, 22 montrent un temps de parole réservé aux hommes plus important. Et ceci même lorsque le personnage principal, qui peut donner son nom au film, est une fille (on évoque par exemple La petite sirène ou La belle et la bête, œuvres dans lesquelles 70% du temps est dévolu à la parole masculine, au contraire par exemple de l’immense majorité des films issus des studios Ghibli où l’inverse est plutôt observable). Des chiffres alarmants, difficiles à digérer, mais qui tendent, heureusement, à revenir à la normale, grâce à des productions plus récentes comme La reine des neiges, Inside Out, Zootopia ou surtout Moana.
La sortie en fin de semaine dernière des aventures de cette princesse nouveau genre, qui refuse d’être nommée ainsi, fait en effet un bien fou. Fille d’un chef polynésien, destinée à devenir chef elle aussi un jour, elle a pourtant l’interdiction formelle de s’aventurer dans l’océan, au-delà de son île. Un interdit qu’elle bravera évidemment lorsque les ressources disponibles sur place se raréfieront au point de menacer la survie de son peuple.
Courageuse, loquace, refusant de se faire imposer des limites, héritant d’une noblesse dont on pare habituellement seulement les preux chevaliers, Moana n’est en outre pas de ces héroïnes qui ne le sont qu’en attendant qu’un intérêt romantique vienne la remettre dans le droit chemin de sa destinée. Non, ici, pas de sous-intrigue sentimentale, pas de déviations : Moana se bat pour les autres et pour elle-même, faisant de l’indépendance le maître mot de toute cette aventure.
Le plus encourageant là-dedans ? Ce sont Ron Clements et John Musker, ceux-là mêmes qui réalisaient La petite sirène en 1989, épinglé par l’étude de Polygraph, qui sont cette fois à la barre de Moana. Les temps changent. Et parfois, il faut aussi savoir reconnaître que ce n’est pas pour le pire.
Bon cinéma progressiste.
1 Décembre 2016