Éditos

Solutions – prise 2

par Helen Faradji

La semaine passée, nous évoquions l’étrange décision des chaînes de cinéma AMC d’offrir en collaboration avec le studio Paramount un billet d’un prix plus ou moins surélevé selon les endroits permettant de voir Interstellar de Christopher Nolan autant de fois que voulu. Tant que c’était en salles. Une décision qui semblait émaner d’une réelle volonté de repenser les films comme des événements à long terme, et non abandonnés là après une ou deux semaines d’exploitation.

Cette semaine, même préoccupation sous-jacente – celle d’une volonté de remplumage en règle de ces salles aussi désertées que le bon sens quand le grand jury a rendu cette semaine sa décision à Ferguson – et même réflexion amorcée du côté des grands studios – cette fois, la filiale britannique de Lionsgate -, mais dans une version beaucoup moins encourageante. Tel que le rapportait Marc-André Lussier sur son blogue, le président directeur général de la bête se questionnerait en effet sur la possibilité de… moduler les tarifs des billets de cinéma selon ce qu’on déciderait d’aller y voir, mais selon aussi la nationalité dudit film. Pour faire simple, plus le film serait « petit », moins le billet serait cher, à condition que ce petit poucet soit britannique. Évidemment, le nerf de la guerre restant le nerf de la guerre quoi qu’on puisse en penser, le critère de modulation desdits tarifs serait financier et dépendrait principalement du nombre de millions de dollars investis dans le film en question. Entrons un instant dans le merveilleux monde de la fiction en appliquant cette logique supposée aider la fréquentation en salles des films britanniques : puisque Transformers 4 a coûté 210 millions à produire, il m’en coûterait 20 dollars pour aller le voir tandis qu’Under The Skin, n’ayant coûté « que » 13.3 millions, me reviendrait à 8 dollars. Il suffit d’exposer ces faits pour mesurer l’étendue de l’imbécillité d’une telle proposition. Mais aussi sa dangerosité. Car comment, puisque la règle marchande reste encore celle qui fait marcher notre monde, ne pas arriver à cette conclusion : le billet pour tel film étant moins cher, le film est forcément de valeur moindre…

Certes, à bien y réfléchir, les prix des billets de cinéma sont déjà modulés. Mais ils le sont en fonction des conditions dans lesquelles le film sera projeté : selon l’heure du jour ou de la nuit, selon le format de projection choisi (Imax ou non, etc…), selon même la qualité de la salle. Mais aucun de ces rabais n’est lié, ni concrètement, ni inconsciemment, au mérite du film lui-même. Dans le débat, il faut être honnête : il est littéralement impossible de mesurer exactement la valeur financière d’une production artistique.

En France, une jolie solution existe depuis déjà une trentaine d’années : la fête du cinéma. Ainsi, durant 4 jours, l’été, toutes les séances de toutes les salles sur tout le territoire sont accessibles au prix unique de 3,50 euros. Une activité ponctuelle, assurant un accès au cinéma et aux salles plus qu’avantageux et où tout le monde finit par trouver son compte (certes, le spectateur lambda se précipitera peut-être sur les grosses machines, mais ledit tarif, disponible sur une période de temps restreinte, l’encouragera fort probablement à se déniaiser et à aller vers d’autres types de cinéma).

Au Québec, tel que le rapporte encore Marc-André Lussier, la solution telle que favorisée notamment par Patrick Roy des Films Séville et de Québec Cinéma (qui fort heureusement ne semble pas séduit par ces bêtes sirènes modulaires) viendrait davantage d’une sortie simultanée en salles et en vidéo sur demande (ce qui certes ne règlerait rien au problème de la fréquentation des salles, mais tout à celui du montant des recettes amassées).

Une solution qui a déjà provoqué l’ire de Louis Dussault, distributeur indépendant québécois, pour qui cet appel à une offre simultanée et multi-supports est une condamnation à plus ou moins long terme de la sortie des films d’auteurs en salles. Mais une solution, surtout, qui, de plus en plus pratiquée il faut le reconnaître, déplace entièrement l’enjeu : non plus assurer la survie des cinémas nationaux ET des salles de cinéma, mais simplement des premiers, les secondes ayant donc déjà perdu leur superbe pour ne devenir qu’un support parmi les autres. Signe que la bataille, au fond, est déjà perdue ?

Bon cinéma

 


27 novembre 2014