SON + VISION
par Alexandre Fontaine Rousseau
Le cinéma, faut-il le rappeler, a été musical avant d’être parlant. Il a intégré le rythme de la musique à son propre mouvement. Mais par-delà la trame sonore, manifestation la plus visible (ou plutôt audible) de cette relation, comment se tisse cette fréquentation harmonieuse ? Évidemment, il était impossible d’inventorier les multiples rapports qui unissent la musique à l’image au cinéma. C’est pourquoi nous avons plutôt choisi d’aborder sous des angles inusités ce lien par ailleurs essentiel.
Nous avons exploré la musicalité des dialogues chez les frères Coen et celle du suspense chez Carpenter, la rébellion formelle de Sogo Ishii découlant de la culture punk, ainsi que le rapport sensoriel, presque sensuel qui unit le cinéma de Claire Denis à l’univers musical du groupe Tindersticks. Nous nous sommes penchés sur ce souvenir mélodique du cinéma de genre italien qui traverse le cinéma d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, de même que sur cette forme courte entièrement guidée par la musique qu’est la bande annonce…
Mais il fallait aussi reformuler la question pour renouveler le discours : ne pas se demander comment le cinéma emploie la musique, mais s’intéresser plutôt à la manière dont la musique emploie le cinéma. Inverser ce rapport de force pour faire émerger de nouvelles problématiques, voire une tout autre forme de cinéma, afin que celui-ci puisse exister hors de ses lieux de diffusion habituels.
De la salle obscure à la salle de spectacle, le glissement s’est opéré naturellement ; et c’est la musique qui ici a joué le rôle de fil conducteur, de lien invisible unissant les différentes manifestations d’une scène indépendante ayant trouvé, à travers le son, une manière de penser l’image autrement. Nous avons ainsi voulu rendre hommage à ce cinéma de la marge, qui prend tout autant la forme de vidéoclips, de projections live en concert que de créations audiovisuelles à l’approche résolument expérimentale. Nous tenions à témoigner de ces manifestations artistiques avant que leur souvenir ne disparaisse. Car ces images sont éphémères. Elles survivent, parfois à l’état précaire de fichiers vidéo disponibles sur Internet, mais la permanence du virtuel est illusoire et sa mémoire incertaine. Que restera-t-il dans quelques années de ces expériences vécues, de ces images vues, de ces sonorités entendues ? En ce sens, les textes et les témoignages qui suivent sont un instantané au cadrage imprécis, réalisé dans l’espoir que pourra s’y imprimer (et ainsi survivre) l’esprit d’un lieu, d’un temps.
Voici donc Montréal, quelque part entre 2000 et 2020, dans l’une ou l’autre de ces salles qui ouvrent et ferment, changent de nom, subsistent pour devenir parfois de véritables institutions. Voici (en pièces détachées) comment s’incarne et se déploie l’esprit d’une ville lorsqu’il refuse d’être étouffé par l’augmentation des loyers, lorsqu’il résiste à l’appropriation des quartiers « artistiques » par des promoteurs immobiliers qui tentent de les soumettre à leurs intérêts.
Une très belle pièce du plus récent album du Silver Mt. Zion Memorial Orchestra, intitulé Fuck Off Get Free We Pour Light on Everything, débute sur ces quelques mots que prononce un enfant : « We live on an island called Montreal, and we make a lot of noise because we love each other. » Mais la ville de Montréal ne fait pas que du bruit. Elle crée aussi des images. En voici quelques-unes, qui sont nées du tapage ambiant.
30 septembre 2015