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Éditos

Sous les yeux de Marcello

par Helen Faradji

À 11h, heure locale, ce jeudi 17 avril, le Festival de Cannes a dévoilé le plus gros de ses secrets en annonçant la liste, la fameuse liste, de ceux qui en seront. Plusieurs évidemment seront déçus (pas de Malick, de Kusturica, de Ferrara….), mais à regarder rapidement les beaux noms qui se sont alignés lors de la conférence de presse menée par Thierry Frémaux et Gilles Jacob (pour une dernière fois – il manquera), impossible de ne pas être ébloui par l’or, assurément la couleur du cru 2014.

Or, oui, en version miroir aux alouettes, d’abord. Or, comme celui derrière lequel nous emmèneront, on l’espère, dès les premiers battements de cœur du festival, Olivier Dahan et son Grace of Monaco non approuvé par la principauté monégasque (ce qui semble une excellente nouvelle), mais surtout cet intriguant Party Girl, création collective de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, choisi film d’ouverture d’Un certain Regard et qui balayera les paillettes éphémères et nocturnes pour mieux plonger dans le quotidien d’une entraîneuse de bar, la soixantaine bien tassée.

Mais or aussi, en mode rutilant cette fois, comme la couleur que l’on voudrait donner à Un Certain Regard, section souvent qualifiée un brin rapidement « d’antichambre de la compétition » mais qui cette année semble avoir gonflé ses plumes. Car l’alignement a de quoi donner le vertige : Ryan Gosling et sa première réalisation, Lost River, Lisandro Alonso et son projet sans titre, Mathieu Amalric et son adaptation de Simenon, La chambre bleue, Asia Argento et son Incomprise, les Bird People de Pascale Ferran qui nous feront voyager sur place dans un hôtel international près de l’aéroport de Roissy, le premier long de Ned Benson (The Disappearance of Eleanor Rigby, avec Chastain et McAvoy, montré dans une première version non finale au festival de Toronto où son regard apparemment perçant sur la dislocation d’un couple new yorkais avait séduit) ou encore Le sel de la terre, portrait du photographe Sebastião Salgado, co-réalisé par son fils et Wim Wenders, excusez du peu. Sélection de petite soeur? Forcément, non.

Mais or, bien sûr aussi, comme celui un rien clinquant qui semble donner sa teinte à la sélection officielle alignant 18 titres (pour le moment), tous plus alléchants les uns que les autres, tous opérant un tri pseudo-naturel dans la cohorte des films de l’année en s’élevant au-dessus des autres, avec ce zeste de morgue et de panache qui fait que les films cannois sont un peu plus « élus » que les autres. Pas de discrétion dans cette sélection 2014, pas de délicatesse prévue au programme, mais du lourd, des titres attendus, espérés, ne ménageant au final que peu (pour ne pas dire aucune) de surprise.

Il y a évidemment, comme d’habitude, ceux que l’on appelle les habitués, ceux qui déjà sur leur dessus de cheminée ont pu poser la précieuse palme : les increvables frères Dardenne (Deux jours, une nuit, présenté par Frémaux comme « un western belge, un peu à la Train sifflera trois fois »), Mike Leigh et son portrait d’artiste, Mr Turner, et Ken Loach qui présentera avec son Jimmy’s Hall et son détour par l’Irlande des années 30 son dernier film de fiction.

Puis viennent encore d’autres mastodontes : Jean-Luc Godard (Adieu au langage), qui, comme toujours, animera le jeu préféré des festivaliers en mettant dans la tête de tous cette incessante question : « viendra, viendra pas ? » et surtout disputera probablement à Xavier Dolan (Mommy) le titre envié d’ « enfant terrible de la Croisette », Cronenberg (Maps to the Stars, comparé au Player d’Altman par Frémaux – on attend avec d’autant plus d’impatience) et Atom Egoyan (Captive) qui s’acharneront à prouver que le cinéma canadien et le cinéma états-unien sont bien distincts, Olivier Assayas et son Sils Maria aux héroïnes affolantes (Binoche, Stewart, Moretz), Nuri Bilge Ceylan et les 3h16 de Sommeil d’hiver, Bertrand Bonello et sa version bien à lui de la vie de Saint Laurent, Hazanavicius et son remake de The Search de Zinnemann, Tommy Lee Jones et son Homesman qui conjuguera Far West et folie féminine, Naomi Kawase et ses Deux fenêtres et Bennett Miller dont le Foxcatcher fait assurément rêver.

Peu de réelles découvertes à se mettre sous la dent, donc (l’italienne Alice Rohrwacher et l’argentin Damian Szifron, en somme), pour cette sélection dont l’on ne peut qu’espérer qu’elle se montre à la hauteur de cet or qu’elle a choisi de porter aussi fièrement.

Bon cinéma, bon festival


17 avril 2014