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Éditos

The Ministry of Silly Decisions

par Helen Faradji

Chaque meme morphant ensemble les visages de Trump et de Farage aura circulé. Chaque photo de « insérez-votre-joke-préférée- devant-le-10-Downing-Street-pour-remplacer-Cameron » aura été faite. Chaque vidéo montrant comment les Écossais, qui se sont trouvés une merveilleuse âme de résistants virtuels, ont reçus le magnat-candidat aux cheveux jaunes et aux idées pas mieux a été relayée. Chaque tweet de vedette britannique aura été disséqué. Chaque tweet de politicien xénophobe ailleurs dans le monde appelant au même résultat chez eux aussi. On aura rapidement fait le tour des réactions à ce fameux Brexit, choisi la semaine passée par le Royaume Uni à une majorité tellement riquiqui qu’elle ferait rire si ce n’était tragique.

Des réactions, des sensations, un choc plus grand que nature et… aucune idée pour la suite des choses. Car maintenant que la décision a été prise, les questions sont aussi innombrables qu’irrésolues. Comment les choses se passeront, concrètement ? Dans le merveilleux monde du cinéma aussi, l’incertitude aussi se fait reine.

Aux dernières nouvelles, seul HBO avait pu confirmer que rien n’allait changer pour la production de son show vedette Game of Thrones, dont plusieurs séquences sont tournées en Irlande du Nord.

Mais qu’en sera-t-il pour les grosses productions qui font notamment de l’immense studio britannique Pinewood leur maison (Star Wars n’étant que la pointe de l’iceberg, puisqu’on estime qu’environ 10 à 12% des productions hollywoodiennes se délocalisent du côté de la perfide Albion chaque année où un système de taxes avantageux fait – pour l’instant – leur bonheur) ? Qu’en sera-t-il pour les films anglais qui, jusque là, bénéficiaient de facilités, tant physiques que fiscales, pour être montrés sur les écrans européens (qui représentaient 57% des revenus d’exportation du cinéma britannique et sur lesquels étaient imposés de généreux quotas de contenu européen), qui pouvaient compter sur des accords de coproduction préétablis, mais qui, également, surtout pour les indépendants, avaient droit à des subventions et systèmes d’aide de production (en particulier grâce au programme Creative Europe qui a notamment aidé, au cours des dernières années des films comme I, Daniel Blake, 45 Years, Fish Tank ou Amy ) tout droit venus du giron européen?

Dans une déclaration publiée notamment par The Hollywood Reporter, Michael Ryan président de l’Independent Film & Television Alliance n’a pas mâché ses mots, notant que la décision de s’en aller était un coup majeur donné à l’industrie du cinéma et de la télévision britannique. S’inquiétant autant des questions de futures coproductions, de distribution, de financement, il y a ces pensées sans appel : « (cette décision) sera probablement désastreuse pour nous ».

Un article paru dans Deadline analyse pour sa part de façon encore plus globale les possibles effets de ce Brexit. Si la perte des mannes et subsides européennes va assurément obliger l’industrie à redistribuer ses cartes, la dévaluation de la livre britannique risque aussi d’avoir de fort fâcheuses conséquences pour les citoyens et leur accès à la culture. Car qui dit livre moins forte, dit moins de pouvoir d’achat et donc moins de possibilités d’acheter des films étrangers pour les distribuer sur le territoire du Royaume-Uni. Sur ce sujet, nous offrons gracieusement à tout critique britannique un stage par chez nous, histoire qu’il comprenne ce qui l’attend.

Des incertitudes et des doutes, voilà donc ce qui semble attendre le merveilleux monde d’un cinéma désormais complètement insulaire. Bien sûr, restera toujours ceux qui voient le chaos comme une source infinie de nouvelles possibilités. Mais, du côté plus pessimiste des choses, on peut aussi imaginer que ces incertitudes et doutes ne sauront créer que plus d’inégalités encore. Si Ken Loach décide finalement de prendre sa retraite, comme il l’a souvent annoncé, ce ne sera assurément pas par manque de sujets…

 

Bon cinéma, d’où qu’il vienne.


29 juin 2016