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Éditos

Tous en salles ?

par Helen Faradji

On pense souvent à tort que l’été, la douceur de vivre, le farniente choisi aplanissent tout. Pourtant, dans le merveilleux monde du cinéma, le soleil ne cache rien. Pire, il peut même amplifier les problèmes. Car la crise, oui, la fameuse crise, celle qui fait que les salles sont désertées – et de plus en plus en vite – au profit du grand méchant ordi, bat toujours son plein. La preuve cette semaine encore en deux anecdotes.

C’est d’abord Chris Evans qui, lors du Comic Con de San Diego, a gentiment rabattu le caquet du distributeur Radius TWC qui a préféré sortir Snowpiercer de Bong Joon-ho (dont il est la vedette – voir notre critique ) en VOD deux semaines avant sa présentation en salles, en affirmant haut et net : « ce film doit absolument être vu sur grand écran » (nous ne saurions lui donner entièrement tort).

C’est cette semaine aussi que la fuite de Expendables 3 sur le net, plusieurs semaines avant sa sortie, a fait le bonheur de milliers de cinéphages sur canapé (quasi 200 000 en 24 heures, plus d’un million à ce jour), réfutant la théorie du moment (notamment défendue par les rois Spielberg et Lucas en début d’année) voulant que le grand écran ne servirait plus qu’aux énormes spectacles et explosions sur-produits, seuls capables d’attirer le pauvre spectateur égaré jusque dans une salle obscure.

Deux événements sans rapport l’un avec l’autre ? Pas tout à fait. Car ils posent tous deux aussi frontalement que possible la grande question, celle qui angoisse et que l’on ne pose en général qu’à demi-mots de peur de froisser : tous les films méritent-ils vraiment le passage par le grand écran ?

Rien n’est aujourd’hui moins sûr. Combien sont-ils en effet chaque semaine à venir truster une place dans une salle sans que le grand écran ne change quoi que ce soit à l’expérience qu’ils feront vivre à leurs spectateurs ? Pour ne s’intéresser qu’à un cas particulier, la comédie Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? de Philippe de Chauveron (en salles ce vendredi) a beau avoir réussi à attirer plus de 11 millions de spectateurs en France, il reste encore entièrement à prouver qu’elle ne procurerait pas exactement le même « plaisir » à ceux qui la verraient en salles, sur leur télé, leur ordi ou sur un écran d’avion. Mise en scène a minima, situations et dialogues qui cadreraient aussi très bien sur une scène de théâtre d’été, rythme permettant toutes les pauses-pipi nécessaires : l’écran de cinéma, son gigantisme, son environnement sonore, l’échange collectif qu’il permet sont là bien loin d’être essentielles.

Non, tous les films n’ont pas intrinsèquement inscrits en eux le besoin d’un grand écran. À certaines périodes de l’année, on serait même tentés d’avancer que la plupart n’en ont pas besoin. Mais l’affirmer, c’est aussi se laisser happer par une autre question, bien plus vertigineuse celle-là : quels films au juste pour quel écran ? S’il est facile de répondre « les salles pour les vrais films de cinéma », l’idée même d’un « vrai film de cinéma » reste elle entièrement nébuleuse. Qu’est-ce qu’un film de cinéma ? Fut une époque (celle où les salles n’étaient pas envahies par 82 sorties chaque vendredi par exemple) où les choses semblaient claires. Aujourd’hui, le flou s’est installé. La télé fait son cinéma en série, le cinéma se décline sur le web, la télé envahit les salles obscures, etc…

Mais si la chose reste en effet bien difficile à anticiper (pour les spectateurs – les distributeurs, eux, devraient le savoir), une chose permet sans trop de doute de savoir si, à la sortie d’un film, nous avons bel et bien été en présence d’un film de cinéma. Une chose toute simple, toute bête comme le fait d’avoir vécu une expérience qu’aucun autre écran n’aurait permis de vivre. Le sentiment, la certitude même parfois, que l’œuvre que l’on vient de voir en grand a permis une transcendance, que l’exigence d’attention que la salle confère lui a été plus que bénéfique, essentielle. L’idée forte d’avoir eu l’impression qu’un cinéaste était bien derrière tout cela et qu’il a pensé son film pour que le moindre de ses détails nous soit accessible en format géant (oui, Mommy de Xavier Dolan est en ce sens un des véritables films de cinéma de l’année – sa sortie est encore attendue avec impatience après sa présentation cannoise). Car un film de cinéma, si ça ne se devine pas, ça se reconnaît. Indubitablement. Et c’est alors au spectateur, s’il a fait le choix de voir ledit film sur un mauvais support, de rendre à César ce qui lui appartient et surtout au film l’écran qu’il mérite.

Bon cinéma

 

 


31 juillet 2014