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Éditos

Trois voeux

par Helen Faradji

Austérité, austérité, austérité… Partout, dans les rues du Québec, la rengaine est la même : comment faire face à un gouvernement dont le seul mot d’ordre semble être de couper dans tout ce qui est « superflu », la définition de ce dernier mot ayant apparemment une définition bien plus large que l’on pouvait imaginer, puisqu’elle englobe, au choix, l’éducation, la santé, les services sociaux et/ou la culture ? Faudra-t-il ressortir les casseroles ? Courber l’échine et attendre que ça se passe ? (Beaucoup) mieux voter ?

En attendant la réponse, les semaines se suivent et se ressemblent tristement. Dernier agneau potentiellement sacrificiel à se voir menacé du couperet ? La Cinémathèque québécoise. Une lettre ouverte ayant largement circulé la semaine dernière, et signée entre autre Denys Arcand, Rock Demers, Micheline Lanctôt ou Claude Fournier, alarmait les foules, et avec raison, sur le projet gouvernemental d’unir la destinée de l’institution fondée il y a plus de 50 ans, à celle de l’organisme Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Une union forcée, comme il ne s’en fait plus que dans les sphères les plus arriérées de notre civilisation, qui, selon les signataires, risqueraient fort de tout simplement faire se dissoudre la Cinémathèque dans BAnQ au fur et à mesure de ce mariage de déraison, où elle finirait probablement par voir s’étioler la spécificité de sa mission, soit sauvegarder, diffuser et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel. Devant cette effrayante perspective, comment ne pas à avoir envie de s’en remettre au proverbial génie à qui, une fois n’est pas coutume, on demanderait d’exaucer nos trois vœux au plus vite.

1. Que la Cinémathèque soit tout simplement protégée de cette idée tristounette par une consolidation pérenne de son financement. La préservation de notre patrimoine – selon une expertise que possède le personnel de l’institution, pas nécessairement celui de BAnQ – n’est pas accessoire, loin de là. Les générations à venir ne peuvent grandir sans accès à ces films, documents et autres œuvres qui, sans cette institution, faut-il le rappeler, seront tout simplement perdus.  Des moyens, tant financiers qu’humains, doivent être donnés à la Cinémathèque, son budget n’étant assuré qu’à 50% pour le moment par une participation gouvernementale. L’outil éducatif formidable qu’est la Cinémathèque n’est pas un gadget pour happy few. C’est collectivement que l’on doit le réaliser. Car une société sans culture préservée, bichonnée, polie comme un sou neuf, c’est une société qui s’en va dans le mur.

2. Que la Cinémathèque soit soutenue par le public. Et en particulier le public plus jeune, celui-là même pour qui la mission de l’organisme a une importance plus que vitale. Un comité pour soutenir la Cinémathèque a rapidement vu le jour sur les médias sociaux. Mais plus que d’un retweet ou d’un like, ce dont la Cinémathèque a besoin, c’est que ses salles soient remplies, qu’une armée de cinéphiles puissent s’y former, que tous les cinéastes qui, à longueur d’entrevues, citent la Cinémathèque comme un des lieux d’apprentissage les plus vibrants du cinéma, se mobilisent eux aussi. Sans public, la Cinémathèque n’est qu’une coquille vide. Ce qui serait la plus désespérante perspective imaginable.

3. Que la Cinémathèque elle-même, surtout dans un contexte aussi fragile, persiste malgré tout à accueillir de nombreuses rencontres (comme cette belle idée de projections commentées, présentée conjointement avec le Festival du Nouveau Cinéma), de jolis pas de côté (comme cette initiative de la Cinémathèque interdite) et des cycles indispensables (comme celui qu’elle consacrait à Pialat). Que sa programmation – tant de films que d’expositions -, alerte et audacieuse, souple et réactive (dans nos rêves les plus fous, un mini-cycle réunissant Gimme Shelter, Salesman ou Grey Gardens, aurait ainsi pu être présenté dès cette semaine pour célébrer la mémoire du grand documentariste Albert Maysles, disparu la semaine passée) par exemple soit la preuve incontestable et incontestée de la nécessité absolue de son existence. Qu’elle puisse, même avec les moyens du bord pour le moment, être repensée comme un véritable lieu à vivre, de partage et d’échange.

L’avenir dira ce qu’il réserve à la Cinémathèque et plus largement à la place et à la considération que l’on donne au cinéma au Québec. Mais en attendant, il appartient à chacun de faire sa part pour prouver de façon irréfutable que sans notre cinémathèque, nous allons perdre un poumon.

Bon cinéma. Ou ce qu’il en restera.


11 mars 2015