Un genre de festival / un festival de genre
par Helen Faradji
En années de festival, 18 ans, c’est l’âge de la maturité. Ou presque. L’âge en tout cas où l’on a déjà essuyé les pots cassés, mais où l’avenir s’ouvre encore en grand. L’âge des possibles mais où l’expérience a fait dépasser le stade du chien fou.
Sauf qu’au juste, qu’est-ce qu’un festival devenu mature ?
Avoir atteint ce stade, où les essais-erreurs n’ont plus besoin d’être cachés à papa-maman, c’est d’abord savoir regarder en arrière sans que le vertige du temps qui a passé sans prévenir nous terrasse. À ce petit jeu, Fantasia (du 17 juillet au 5 août, à suivre ici même sur le blogue que lui consacrera Céline Gobert) misera cette année sur une projection extérieure et musicale de trois courts intemporels de Charlie Chaplin (Making a Living, A Dog’s Life et et Idle Class, le 23 juillet) mais surtout sur deux cycles-événements, tous deux présentées à la Cinémathèque Québécoise : un hommage aux productions de l’inépuisable mouvement Blaxploitation (Sweet Sweetback’s Baadassss Song de Melvin Van Peebles, classique du genre ou Tough d’Horace Jackson, remake improbable mais puissant des 400 Coups de Truffaut) mais aussi un regard sur la (maigre) production québécoise de cinéma de genre, porté notamment par la présentation du politique et noir Pouvoir Intime d’Yves Simoneau (les amateurs iront également vérifier si René Angélil était déjà égal à lui-même en 1971 dans l’ineffable Après Ski, aussi au programme).
Bien sûr, 18 ans, c’est aussi l’âge des gros cadeaux, du tape-à-l’œil qui fait plaisir. Là encore, Fantasia ne se fait pas timide et aligne en vrac, au rayon « fun, fun, fun » le nouveau Eli Roth et ses relents Cannibal Holocaustiens, The Green Inferno, la machine Guardians of the Galaxy, le Zero Theorem de Gilliam qui, sans Fantasia, n’aurait même pas eu droit à une présentation en salles au Québec, ou l’immanquable copie restaurée 4K de Texas Chainsaw Massacre, en présence du mythe Tobe Hooper, qui fit sensation lors de la dernière Quinzaine des Réalisateurs.
Mais tout mûr que l’on soit à 18 ans, l’âge autorise encore un peu le brouillon, le flou artistique, le questionnement quasi-existentiel (quoi qu’il semble l’autoriser aussi plus tard, comme le montrait l’étonnante décision, pour dire le moins, du festival de Locarno d’ouvrir son édition 2014 avec Lucy de Luc Besson…). Et c’est là que Fantasia, cette année, montre tout particulièrement que ses frontières ne sont pas nécessairement si définies. L’on rétorquera que le festival est à l’image du cinéma de genre, dont les contours se sont, avec les années, étendus, assouplis, relâchés, autorisant une prolifération infernale de sous-genres qui permet d’ailleurs cette légitime interrogation : le genre existe-t-il encore ?
Certains titres de Fantasia, attendus (Cold in July de Jim Mickle, White Bird in a Blizzard et la rencontre fascinante entre Gregg Araki et Laura Kasischke, Han Gong-Ju de Lee Su-jin, gagnant à Rotterdam, Real de Kiyoshi Kurosawa…) restent dans le rang, comme on l’attend. D’autres font davantage douter. Car si l’on comprend l’intérêt pour un festival de mettre la main sur l’expérience Boyhood de Richard Linklater, qui s’annonce déjà comme un des films les plus marquants de l’année (la semaine passée, il sortait aux Etats-Unis, déclenchant la première vraie vague d’enthousiasme critique et publique de l’année et son producteur, tellement sûr de son coup, a depuis proposé de « rembourser » le temps des spectateurs qui ne l’aimeraient pas), reste que sa présence au sein d’un événement comme Fantasia est en droit d’étonner. Comme peuvent le faire, dans une moindre mesure, celle de Frank de Lenny Abrahamson (le sous-genre du « film de musicien à tête de marionnette » ?) ou de Welcome to New York d’Abel Ferrara, choisi comme film de clôture pour profiter d’un buzz dont tout le monde se passe pourtant très bien depuis sa présentation racoleuse à Cannes (rappelons que ce « Depardieu movie », un autre sous-genre apparemment, a été sorti simultanément en mai dernier en VOD).
Qu’à 18 ans, l’envie d’expérimenter et de jouer avec les limites de son propre cadre se fasse sentir est bien naturel. Mais reste que le chemin vers la maturité s’accompagne aussi d’un besoin de cohérence que l’on ne peut souhaiter que voir davantage affirmé au cours des prochaines années.
Bon festival
Horaires, programmation et détail au : https://www.fantasiafestival.com/2014/fr/
17 juillet 2014