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Éditos

Un gouvernement aux mains d’argent

par Helen Faradji

Le lendemain, c’était jour férié. Fête nationale, rien de moins. Le genre de journée où les demandes de renseignements supplémentaires font forcément chou blanc, puisque tout le monde est en congé. Le genre de journée aussi que l’on présume choisie exactement pour ça : pas disponibles, les fonctionnaires, les journalistes, les relationnistes de presse… Un petit 24 heures tampon, pour faire la différence en espérant même que peut-être tout cela tombera entre les craques de l’actualité qui, elle, on le sait, n’attend pas, surtout pas les jours fériés. Et difficile alors de ne pas voir dans les annonces faites ainsi que dans le choix du mardi 23 juin dernier pour les faire un camouflet de plus.

2.5 millions de dollars. Voilà donc la rondelette somme dont sera ponctionné le Conseil des arts et des lettres du Québec (dont le budget n’a pas été augmenté depuis une quinzaine d’années, soit dit en passant) afin que le merveilleux monde des artistes puisse lui aussi «contribuer à l’effort budgétaire gouvernemental». Une somme, a-t-on pris la peine de préciser, qui ne sera pas amputée dans les bourses ni les subventions, mais qui, même dans la mesure où elle serait enlevée aux ressources humaines du CALQ finira tout de même par peser (moins d’agents, moins de projets étudiés, plus de lenteur encore dans le processus ?)

Juste pour se donner une idée et rappeler l’importance du CALQ à préserver une bonne santé et une diversité de l’écosystème culturel québécois, pour l’exercice 2014-2015, l’organisme a pu soutenir financièrement aussi bien la Tohu, les 7 Doigts de la main, le Théâtre La Chapelle, Terres en Vues, le centre de production et d’exposition Eastern Bloc, la S.A.T, la Biennale de Montréal, VU, Dare-Dare, Spirafilm, Wapikoni, Vidéographe, la Coop Vidéo, Antitube, le Festival International de la Littérature ou toutes les revues culturelles, sans parler des bourses aux créateurs de tous les secteurs tant en recherche, qu’en développement, en perfectionnement ou en déplacement, etc, etc, etc… Bref, autant de coups de pouce qui, bien loin d’être le crémage sur un gâteau obscène, sont autant d’appuis concrets et tangibles à ce que ceux qui créent et ceux qui les entourent puissent tout simplement vivre (survivre dans certains cas).

Oui, survivre. Car ladite annonce a aussi été faite le jour même où l’on apprenait via un rapport de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain que si l’industrie de la culture pouvait se vanter des 11 milliards qu’elle rapporte directement ou non à la ville en retombées économiques, les travailleurs de ladite industrie ont pour leur part vu leurs revenus reculer de 4% depuis 2009… En moyenne, on estime ainsi que le salaire annuel d’un artiste au Québec est de 23 000 dollars.

Évidemment, on pourra toujours rétorquer, idées courtes sur front bas, que ce n’est pas le rôle de l’État de financer les vacances de ceux qui font des steppettes pour nous amuser. Que collectivement, nous n’avons pas à mettre la main à la poche pour que quelques troubadours puissent avoir la belle vie pendant que les vrais travailleurs, eux, font tourner la machine. Que le sociofinancement participatif n’est justement pas fait pour les chiens et qu’il représente une manne pour ceux qui se reposent autrement seulement sur leurs lauriers.

Mais on pourra aussi toujours brandir le même étendard, celui d’une implication plus que nécessaire, puisque répondant à un besoin vital, de l’État dans sa culture. Celle qui l’anime, la représente, lui fait voir autant qu’aux autres ce qu’il est, comment il fonctionne, quels sont les conséquences de ses actions. On pourra toujours rappeler encore que pour un acte créatif individuel, ce sont bien des bénéfices – financièrement tangibles ou symboliques – collectifs qui en découlent. Et on pourra bien enfin se rappeler que laisser mourir les créateurs en en asséchant les ressources va à l’encontre de ce que déjà Kant, pas le premier venu tout de même, expliquait dans sa Métaphysique des mœurs (« Il n’y a donc pas à considérer l’avantage que la culture de sa capacité (en vue de toutes sortes de fins) peut procurer à l’homme, car une telle considération finirait peut-être (selon les principes de Rousseau) par tourner à l’avantage de la grossièreté du besoin naturel; mais c’est un commandement de la raison moralement pratique et un devoir de l’homme envers lui-même que de cultiver ses facultés »).

On pourra…

Mais il semble surtout importer aujourd’hui de se souvenir que philosophiquement, culturellement, historiquement, économiquement, géographiquement, les investissements publics en éducation, en santé, en culture ne sont pas des cerises sur le sundae dont on pourrait se passer aisément. Ils sont notre raison d’être, à tous. Ils sont notre bien-commun. Et les choix de société qui sont en ce moment faits en notre nom semblent bien trop souvent l’oublier.

Bon cinéma


2 juillet 2015