Vers l’avenir
par Helen Faradji
Bien sûr, il reste encore quelques uns de ces morceaux patapoufos-populaires, vestiges d’un étrange passé, qui viennent parasiter la clarté de la ligne éditoriale (Good Luck Algeria, de Farid Benhoumi ou Un homme à la hauteur de Laurent Tirard, par ailleurs déjà sorti au cinéma par chez nous au cours de l’été, mais aussi les pédagogiques et ronflants Chocolat de Roschdy Zem ou Cézanne et moi de Danièle Thompson). Pourtant, impossible à nier, Cinémania, festival de films francophones coincé entre le Festival du Nouveau Cinéma et les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal du 3 au 13 novembre, a bel et bien muté.
Impossible de ne pas le constater : en 22 ans, il est passé d’une vitrine plus ou moins programmée des polars avec Gérard Lanvin et autres comédies avec Dany Boon à cet événement qui, s’il ne se limitait pas aux œuvres francophones, aurait pu être ce festival glam-paillettes-rigueur que la Sodec semblait une année appeler de ses vœux.
Car elle est peut-être petite par la taille, cette programmation de la 22e édition, mais elle en jette. Gros canons sur gros canons. Le Elle de Paul Verhoeven peut-être un des films les plus attendus de l’année, la gâterie cinéphile subversive du moment. Les deux chouchous à petite échelle des derniers Cannes et de Venise : Victoria, de Justine Triet qu’on annonce depuis sa présentation à la Semaine comme le brillant renouveau de la comédie française et Réparer les Vivants de Katell Quillévéré, adaptation vive, naturaliste et stylée, d’une ampleur émotive bouleversante du roman de Maylis de Kerangal. Bruno Dumont et sa Loute, Assayas et son Personal Shopper, les Dardenne et leur Fille inconnue, Rester Vertical de Guiraudie, Mal de pierre de Nicole Garcia, Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin, La danseuse de Stéphanie DiGiusto, soit l’essentiel de la délégation française au dernier Festival de Cannes….
Ils sont venus, ils sont tous là, parce qu’on déniche aussi dans cette liste les deux « films dont on parle » car ils abordent de front le grand traumatisme français récent – les attaques terroristes –, deux films qui, au-delà de leur effet miroir, sont également des mises en scène incroyablement réactives et perméables au monde qui les entoure. Si on espère de Nocturama de Bonello, sur une bande de jeunes terroristes lâchés dans Paris qu’il soit cette œuvre hypnotique et dérangeante, on attend davantage de Le ciel attendra, de Marie-Castille Mention-Schaar, récit de la descente en Daech d’une jeune fille endoctrinée qu’il soit un électro-choc.
Reste aussi le petit poucet de la sélection, même s’il a valu à Mia Hansen-Love le prix de la meilleure réalisation à Berlin, celui dont on parle moins malgré toutes les promesses de son joli titre : L’avenir. Qu’on aurait pu sous-titrer la preuve que le cinéma nous parle de nous mieux que tout le reste. La simplicité y est absolue. Mais pas de cette fausse simplicité qui vire à l’austérité ou aux gestes de cinéma dont la radicalité n’épate qu’eux-mêmes. Non, ici, tout coule, tout est fluide, tout se déroule sous nos yeux, avec nous, placés en empathie totale avec Isabelle Huppert, impératrice de la simplicité volontaire elle aussi, qui y joue Nathalie, une prof de philo au lycée, quittée par son mai, virée par sa petite maison d’édition et dont la mère perd doucement la raison. Il n’y a dans ce film d’une justesse épatante rien qui dépasse, pas une once de trop. On ne s’apesantit sur rien, les ellipses agissent comme des voiles sur les drames, tout est d’une légèreté magnifique, bouleversante même. Et sous cette mise en scène l’air de rien, ce récit simple, quotidien, qui observe l’intime par petites touches impressionnistes prend une ampleur romanesque, épique et dramatique incroyable. Une femme qui filme une femme, et le cinéma se joue.
Parlant de femmes, c’est évidemment un effet temporel, une coïncidence entre la sortie de films réalisés par des femmes et l’année, plus qu’un choix de programmation délibéré : mais on y remarquera tout de même la présence de 12 films réalisés par des femmes. Et puisque ce chiffre en lui-même ne veut absolument rien dire, mentionnons surtout que pas un de ces films n’a été sélectionné parce qu’il est l’oeuvre d’une fille. Des films de femmes, oui. Des films de cinéma, surtout. Voilà exactement ce qui fait avancer au mieux la cause.
Bon cinéma
3 novembre 2016