Je m'abonne
Éditos

Vive la France!

par Helen Faradji

Évidemment, il y a tous ces titres prestigieux qui ont fait le festival de Cannes cette année et que Cinémania (7-17 novembre) aligne avec une constance presque vertigineuse : Michael Kohlhaas, Jeune et Jolie, Grigris, Grand Central, Le passé

Et déjà, derrière ces titres de prestige, un même point commun, une même attention que l’on sent particulière cette année portée par les cinéastes français aux acteurs et à leur corps : les angles aigus du visage de Mads Mikkelsen filmé avec crainte et respect par Des Pallières, le mystère de Marine Vacth, beauté vénéneuse et innocente à la fois, capté par Ozon, la sensualité explosive de Léa Seydoux et celle plus lunaire de Tahar Rahim enregistrées par Zlotowski, le corps disloqué aux mouvements si élastiques de Souleymane Démé flottant presque sous la caméra de Mahamat-Saleh Haroun… Autant de gestes de cinéma différents, singuliers mais qui tous semblent animés par une volonté sincère et rafraîchissante de faire habiter les écrans par des présences hors-normes, hors-carcans, hors-logiques.

C’est encore dans quatre découvertes que l’on pourra faire à Cinémania cette année que ces désirs de documenter tant le réel que les corps et les visages s’illustrent avec ce petit goût de l’inhabituel qui attise tant le désir du spectateur. Quatre films buissonniers, hors des chemins battus et qui justement font de leurs acteurs des guides autant que des symboles de ce jeune cinéma français qui refuse avec une obstination admirable de s’inscrire dans une case, de porter une étiquette. Quatre moments de doutes aussi, de vulnérabilité que quatre cinéastes vont, par le biais de l’acteur, tenter de résoudre sans recours aux ficelles et trucs habituels.

Il y aura d’abord cette spirale infernale, menée au rythme d’ellipses saisissantes et organiques, dans laquelle se laissera entraîner Suzanne, petite fille perdue en province que l’envie de vivre et d’aimer par impulsions insouciantes brisera peu à peu. Un rôle d’héroïne simple et tragique sublimé tant par la mise en scène rigoureuse et empathique, vive et sensible de Katell Quillévéré que par la luminosité s’éteignant et se rallumant au gré des obstacles de l’épatante Sara Forestier.

Puis, il y aura encore le destin de cette actrice paumée, dans Le temps de l’aventure, succombant pour un regard échangé dans un train au charme d’un professeur britannique. Une parenthèse, ni enchantée, ni désenchantée, comme un moment volé à la vie qui passe où un homme et une femme se laisseront croire, le temps de quelques étreintes, que l’impossible est parfois vital pour revenir au possible. Face à un Gabriel Byrne d’une douloureuse douceur, Emmanuelle Devos y réinvente le rythme de sa propre parole en anglais, ce rythme si particulier à qui Desplechin avait si bien su donner corps mais qui, cette fois, chez Jérôme Bonnell, par le simple jeu d’accents toniques déplacés, de césures différentes, de mots avalés inhabituellement, donne à l’actrice une fragilité nouvelle et à fleur de peau.

Encore une histoire d’amour ratée, encore un acteur subissant autant qu’incarnant le chaos et la souffrance : Vincent Macaigne dont le naturel insolite, ou le contraire, ne cessent depuis quelques temps d’illuminer le jeune cinéma français. En plus de ce Tonnerre, signé Guillaume Brac, jouant sa touchante et petite mélodie triste sur l’air de l’impossible quête d’un bonheur rédempteur entreprise par un musicien en pleine déprime revenu vivre chez papa dans l’Yonne, on le verra encore dans cette autopsie d’une histoire d’amour, ludique, théâtrale et ingénieuse, qu’est 2 Automnes et 3 hivers, de Sébastien Betbeder, comme on l’avait vu dans les deux pas de côté, spontanés et vibrants, de l’année qu’ont été La fille du 14 juillet et La bataille de Solférino.

Et enfin, il y aura le deuil revu et corrigé façon Solveig Anspach (Stormy Weather) dans Queen of Montreuil, fantaisie excentrique douce-amère, mais jamais fausse, où une famille de fortune se constituera au gré du hasard et des coups de pouce de la vie pour aider une jeune veuve à reprendre pied dans un univers au charme étrange dont les visages poétiques et célestes de Florence Loiret-Caille et d’Ulfur Aegisson dessinent les contours déglingués avec une sympathie indéniable.

On dit souvent, par amour du raccourci, que les films sont aussi des documentaires sur leurs conditions de tournage et sur les acteurs qui les habitent. Cette année, à Cinémania, on constatera que non seulement la maxime a bel et bien du vrai, mais qu’en plus, ces documentaires sur les acteurs sont passionnants.

 

Bon cinéma


7 novembre 2013