Éditos

Voici le mois de mai…

par Helen Faradji

La Mecque. On a beau essayer de s’en détacher, le constat est imparable : chaque année, au mois de mai, tout ce qui fera et défera le cinéma de l’année se jouera bel et bien au festival de Cannes. En attendant la sélection officielle qui sera officiellement dévoilée le 16 avril prochain et que les frères Coen et leur jury devront départager, amusons-nous donc à deviner quels seront les 20 élus qui devraient logiquement s’y retrouver cette année, en n’oubliant pas ce qui déjà est sûr : Mad Max version George Miller fera bel et bien vrombir la croisette, hors compétition.

Apichatpong Weerasethakul et Love in Khon Kaen : on voit mal une des places de choix échapper au cinéaste thaïlandais. Palmé d’or en 2010 avec son Oncle Boonmee, ce dont les esprits chagrins ne se sont pas encore remis, il met cette fois en scène une femme solitaire, un soldat affligé d’une mystérieuse maladie qui l’a endormi, quelques rêves et hallucinations et une jungle, dans la pure continuité, espère-t-on, de son cinéma métaphysique et déstabilisant.

    Matteo Garrone et Le conte des contes : si son seul titre est déjà une promesse, ce nouveau film de l’italien – son premier en anglais -, primé par deux fois à Cannes (Reality et Gomorra) allèche tant par son inspiration (les histoires populaires italiennes du XVIIe) que par son casting pour le moins éclectique (Vincent Cassel, Salma Hayek et John C. Reilly)

Gaspar Noé et Love : jouera-t-il à l’Arlésienne ? Ou sera-t-il au rendez-vous? Le nouveau film de monsieur scandale (Irréversible), « mélodrame érotique explicite sur fond de triangle amoureux» comme il est présenté, se fait en tout cas attendre et promet déjà, s’il en est, d’être le film qui donnera le proverbial coup de chaud nécessaire à tout festival réussi. L’affiche, toute langues et salive dehors, donne en tout cas déjà le ton.

    Todd Haynes et Carol : rien n’est évidemment sûr dans le merveilleux monde du cinéma, mais on voit mal comment ce film réunissant Cate Blanchett et Rooney Mara sur fond de romance et de lutte des classes en pleine Amérique d’Eisenhower, adapté d’un roman de Patricia Highsmith, échappera aux honneurs.

Alexandre Sokurov et Francofonia : après L’Arche russe, le russe retrouve les décors muséaux – celui de Louvre, cette fois – pour mieux questionner l’Occupation allemande de Paris. Si le film semble flotter dans l’air depuis un ou deux ans, gageons que cette année devrait être la bonne.

Nanni Moretti et Mia Madre : président du jury en 2012, l’italien pourrait bien venir briguer une seconde palme (La chambre du fils) avec ce récit autobiographique qu’il signe et dans lequel il joue aux côtés de John Turturro et que l’on devine déjà empreint de sa traditionnelle délicatesse aux contours juste assez brutaux et de son humour acide.

Cornelio Porumboiu et Le trésor : il y a quelques années, on faisait grand cas de la Nouvelle Vague du cinéma roumain. Ce Trésor pourrait la remettre à l’avant-scène tant le cinéma de Porumboiu (révélé avec 12h08 à l’est de Bucarest, caméra d’or 2006) se distingue par son humour féroce et singulier. Après la présence semi-ratée de Wild Tales l’an dernier en compétition, l’honneur de la comédie d’auteur sera peut-être sauvé en 2015 !

Gus Van Sant et Sea of Trees : si son bouleversant et brillantissime Elephant, palme d’or 2003, est encore dans toutes les mémoires, ce Sea of Trees, road-movie en direction des forêts du mont Fuji au Japon réunissant Matthew McConaughey, Naomi Watts et Ken Watanabe, pourrait bien l’aider à se rappeler à nos meilleurs souvenirs.

Arnaud Desplechin et Trois souvenirs de ma jeunesse : depuis que #Cannes2015 est apparu dans l’imaginaire collectif, ce film a également surgi comme le candidat le plus probable de cette édition. Prequel de Comment je me suis disputé…(ma vie sexuelle) qui avait eu les honneurs cannois en 96, il laisse place à de jeunes acteurs en plein périple existentiel entre Roubaix, Paris, Moscou et le Tadjikistan sous l’œil observateur de l’inévitable Mathieu Amalric.

Yorgos Lanthimos et The Lobster : le grec saura-t-il se trouver une première place en compétition ? Si ses Canine et Alps ont marqué les esprits, cette fable futuristico-fantastique au pitch incroyable (dans un futur rapproché, les jeunes gens doivent obligatoirement trouver l’amour sous peine d’être transformés en animaux !) réunit en tout cas un casting dont le tapis rouge raffole: Rachel Weisz, Colin Farrell, Ben Whishaw, Léa Seydoux et John C. Reilly.

Miguel Gomes et Les Mille et une nuits : autre caution cinéphile avec Weerasethakul, le portugais Miguel Gomes, adulé depuis son merveilleux Tabu reprend la structure du célèbre conte pour mieux évoquer la crise socio-politico-financière du Portugal. Les rumeurs les plus folles circulent déjà (le film durerait 6 heures…), la pire étant qu’il ne serait peut-être pas prêt à temps.

Paolo Sorrentino et La Giovinezza : que l’on ait été d’un côté ou de l’autre de la barrière, la dernière présence à Cannes de l’italien avec sa Grande Bellezza en aura en tout cas été un des moments forts. Son nouveau projet devrait logiquement être de cette nouvelle édition, sachant que tous ses films l’ont jusqu’ici été et que ce La Giovinezza nous fera le coup du choc des générations incarné par Rachel Weisz, Michael Caine, Harvey Keitel, Paul Dano et Jane Fonda.

    Andrzej Zulawski et Cosmos : plus de nouvelles du polonais depuis 15 ans, Possession encore dans la plupart des esprits, adaptation d’un roman de Gombrowicz, rencontre entre un étudiant acerbe et un jeune homme déprimé, présence de Sabine Azéma et Jean-François Balmer… mais pourquoi diable Cannes voudrait-il s’en priver ?

Hirokazu Kore-Eda et Our Little Sister : Tel père tel fils avait charmé et ému en 2012, ce Our Little Sister, que l’on imagine déjà porté par la même sensibilité renversante, et qui revisite un manga japonais pour mieux évoquer des thèmes chers au cinéaste (famille, deuil, déterminisme) devrait lui aussi se frayer une place jusqu’au saint des saints.

Jeff Nichols et Midnight Special : l’un des – si ce n’est le – meilleurs cinéastes américains contemporains (Mud, Take Shelter) signe un film de science-fiction « à l’ancienne » comme il l’a présenté (et rabattra peut-être enfin le caquet à Christopher Nolan ?), en réunissant l’inévitable Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst et Adam Driver. Seule raison de ne pas envisager sa présence ? Qu’il ne réussisse pas y à mettre la touche finale avant le mois de mai…

Pablo Trapero et El Clan : passé sous le radar, son précédent Elefante Blanco était pourtant loin d’être dénué de mérite. L’Argentin pourra-t-il retrouver une place en pleine lumière avec ce récit des aventures toutes godfatheriennes du véritable clan Puccio qui sema la terreur dans l’Argentine des années 80 ? À classer en tout cas assurément parmi les prétendants les plus intriguants.

Denis Villeneuve et Sicario : Benicio Del Toro et le trafic de drogues entre le Mexique et les Etats-Unis ? Il en faudra beaucoup à Villeneuve pour faire oublier Soderbergh. Mais ses atouts sont loin d’être mineurs, à commencer par la présence de Roger Deakins en maître es lumières que les deux présidents du jury connaissent plus que bien et par le fait que Cannes regrette probablement encore un peu d’être passé à côté d’Incendies!

Ben Wheatley et High Rise : adepte d’un cinéma choc et violent (Kill List, Touristes…), l’Anglais enferme cette fois un casting impeccable (Jeremy Irons, Tom Hiddleston et Luke Evans) dans un gratte-ciel immense pour mieux se frotter à la science-fiction made in J.G. Ballard. Oui, comme le Crash de Cronenberg…

Emmanuelle Bercot et La tête haute : si l’on imagine que la question en préoccupe certains, espérons que Bercot ne sera pas là seulement pour assurer le quota féminin de la sélection mais bien parce que sa vision de Catherine Deneuve (après le formidable Elle s’en va) en juge pour enfants, face à Benoît Magimel et Sara Forestier y aura sa place naturellement, comme tous les autres films dignes de ce nom.

Maïwenn et Mon roi : soyons honnêtes, son horripilant Polisse n’aurait probablement pas du en être en 2011. Mais force est de constater que Maïwenn a été choyée par Cannes et qu’elle devrait probablement l’être encore avec cette histoire fort évocatrice de De rouille et d’os d’une femme perdant l’usage de ses jambes et tentant de faire survivre son couple…

 

Évidemment, d’autres noms, tout aussi prometteurs, circulent. Mais disons-le tout net, ce que l’on attend véritablement du 16 avril prochain, c’est qu’au milieu de toutes ces prédictions, il réussisse l’impossible : nous surprendre !

Bon cinéma

 


9 avril 2015