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Éditos

We need to talk about…

par Helen Faradji

Étrange sentiment que celui qui a pu saisir l’observateur du merveilleux monde du cinéma québécois cette dernière semaine. D’abord après le dévoilement de la bande-annonce du prochain film de Benoît Pelletier, Ego Trip, qui fort brièvement présente une histoire d’animateur vedette en chute libre parti, pour redorer sa médaille, en tournée médiatique en Haïti pour le compte d’une ONG québécoise. Ensuite, après le visionnement de Noir, second long d’Yves-Christian Fournier, observant les destins croisés de quatre personnages liés, chacun à sa façon, aux agissements d’un gang de rue dans les quartiers pauvres de Montréal.

Étrange sentiment, donc, ressemblant à celui qui avait pu saisir au lendemain de la dernière cérémonie des Oscar : celui d’un malaise qui n’est en réalité qu’exacerbé, probablement hors proportions, par ceux-là même qui se targuent d’enfin voir l’éléphant dans la pièce, sans pourtant réaliser que ladite pièce est remplie de porcelaine.

Si la chance doit être donnée au coureur en ce qui concerne Ego Trip (sortie prévue le 8 juillet), reste que sa bande-annonce réduisant Haïti et ses habitants à des éléments de décor a le don de déjà inquiéter, même si l’on espère que l’hypocrisie, l’instrumentalisation et autres belles condescendances seront sujets et non pas objets de ce film. Le doute n’est par contre pas permis devant Noir. Car, de son formalisme gratuit à ses dialogues d’une naïveté confondante, en passant par son récit se contentant de faire se succéder des vignettes sensationnalistes et racoleuses et ses personnages à peine dessinés à gros traits et n’évitant donc pas le piège d’une caractérisation toute en stéréotypes, voilà un film qui, malgré lui et par maladresse, semble devenir symbole de ce malaise rampant dans le cinéma québécois : l’absence de regard, – et nous n’osons même pas l’espérer juste et constructif -, sur ce qui n’est pas blanc sur blanc, sur ce qui joue en-dehors des limites qui se sont imposées jusqu’ici, à quelques exceptions près, dans la représentation de la société québécoise au cinéma. Un malaise revenant régulièrement en haut de l’affiche (à un rythme moindre, cependant, que celui causé par le nombre de femmes réalisatrices) quand l’on se demande, la bouche en cœur, pourquoi le cinéma québécois ne sait pas inclure de comédiens de différentes communautés dans ses histoires, ou pourquoi il ne parle pas de leurs réalités.

Devant tout malaise, la logique est généralement la même. Il faut faire péter la balloune, éviter que l’amertume ne remplisse un sac de haine impossible à crever et être capable, collectivement (ce dont les artistes, entre autres, peuvent être responsables), de regarder ce qui fait mal, ce qui fait peur, ce qui trouble. Certes. Mais simplement exposer et parler de ne veut pas dire la même chose. Surtout pas lorsque le geste d’exposer en question se réduit à une conception publicitaire des différences socio-culturelles, emmagasinant scènes-slogans et entretenant, malgré les lui, les préjugés. Si l’on devine aisément qu’Yves-Christian Fournier a du voir et revoir La Haine de Mathieu Kassovitz (au-delà des citations, son discours promotionnel ressemblait aussi étrangement à celui du cinéaste français qui avouait bien candidement à l’époque avoir voulu « choquer le bourgeois » avec son film en le mettant face à son racisme latent), il semble en avoir oublié une des scènes les plus frappantes. Celle où une journaliste débarque dans la banlieue de Saïd, Hubert et Vinz et qu’entre eux s’échange ce dialogue édifiant :

– C’est pour la télé. Est-ce que vous avez participé aux émeutes cette nuit ? Est-ce que vous avez cassé quelque chose ?
– Eh Madame, on ressemble à des voyous pour vous ou quoi ?
– Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…
– Alors on ressemble à quoi ? Pourquoi vous descendez pas de la voiture, on n’est pas à Thoiry ici !
– On a du boulot , on est en retard…
– Ah ouais vous avez quoi comme boulot, trouver un truc bien baveux histoire de faire un scoop !

Qu’un problème de sous-représentation existe, rien n’est plus vrai. Mais qu’il soit « traité » avec des idées si courtes ne le révèle pas, pas plus qu’il n’incite à le questionner. Il ne fait, au fond, que le renforcer. Parlez-en en bien, parlez-en mal mais parlez-en ? Ce n’est probablement pas le rôle du cinéma devant de si importants enjeux.

Bon cinéma.

 


16 avril 2015