3 jours 2 nuits au Festival de cinéma de la ville de Québec 2017
par Ralph Elawani
Le Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ) entamait la semaine dernière sa septième édition. Un marathon de 10 jours, se déroulant du 13 au 23 septembre, où plusieurs valeurs sûres internationales ayant déjà été programmées lors des grands festivals étaient à l’affiche. Québec n’est ouvertement pas une bacchanale de « primeurs », comme l’expliquait récemment au Devoir Ian Gailer, directeur général du FCVQ. Qu’à cela ne tienne, l’événement s’enorgueillissait tout de même d’une honnête sélection, dont près du tiers des longs métrages étaient d’ailleurs québécois.
Jour 1
Le premier programme de courts métrages documentaires du festival était présenté aux Gros becs. Une salle qui accueille généralement du théâtre jeune public, et où l’aération est aussi introuvable qu’une équipe de hockey pour remplir le nouvel amphithéâtre de la ville. Du programme de six films, deux se démarquaient particulièrement. Le premier : Polonez, d’Agnieszka Elbanowska, qui s’intéresse à un « concours de patriotisme » dans la petite ville d’Aleksandrów Kujawski, en Pologne. Sous l’œil d’un jury formé d’un directeur d’école, du maire de la ville, d’un prêtre et d’une poète locale, la scène d’un gymnase (ou d’une salle paroissiale ?) devient le théâtre de performances d’une médiocrité quasi charmante ; le spectacle absurde des singeries de la fierté nationaliste poussée dans ses plus pittoresques recoins.
Le second, dans une dynamique complètement différente quant à son regard sur la fierté nationale : Yaoum fi Halap (Un jour à Alep), d’Ali Ibrahim. Ce film offre pour sa part le désolant spectacle du quotidien au cœur de ce qui fut autrefois la troisième grande ville de l’Empire ottoman ; aujourd’hui, un paysage dévasté inspirant l’inverse du syndrome de Stendhal. Les scènes tournées en pleine rue sous les bombes se ressemblent peut-être d’un documentaire à l’autre, mais le fait d’être assis à côté d’un conducteur se faisant mitrailler tenait ici de l’insoutenable. Le choix d’Ibrahim de capter certaines images à l’aide d’un drone était par ailleurs particulièrement osé, considérant les circonstances. Un traitement-choc nécessaire, dira-t-on.
Et au pire on se mariera, de Léa Pool faisait partie des projections attendues du festival. Une séance qui affichait donc complet pour l’adaptation du très réussi roman de Sophie Bienvenu. Fruit d’une coscénarisation bicéphale, signée par l’auteure et par Léa Pool, le film n’est tout simplement pas à la hauteur de la promesse du roman. Il souffre notamment d’une direction des acteurs trop polie et d’une patine proprette qui enlève toute possibilité de comprendre le milieu d’où l’adolescente est censée émerger. On admet bien qu’il y soit mis en scène la vision biaisée de la jeune Aïcha (Sophie Nélisse) — l’essence narrative du roman est conservée à travers un jeu de flash-back racontés par une narratrice peu fiable —, mais on peine à frapper l’imaginaire. Les adresses à la caméra, lors des scènes d’interrogatoire, y sont sans aucun doute également pour beaucoup.
Précédé du soporifique Fuckgirls, de Saga Becker, un récit incongru d’autonomisation (empowerment) très près du vidéoclip, s’articulant autour de trois personnages transgenres, quelque part entre le rape-revenge et l’esthétique Suicide Girls, Shadowman, d’Oren Jacoby était l’un des bons choix documentaires du festival. Bénéficiant d’une trame sonore impeccable pour son sujet (Suicide, Blondie, Talking Heads), le film raconte l’ascension puis la descente aux enfers de l’artiste visuel Richard Hambleton.
Figure majeure de la peinture aux États-Unis, au tournant 1980, Humbleton fut tout aussi, sinon plus populaire que Basquiat et Haring à une certaine époque, avec son art de rue immanquable ; silhouettes fantomatiques hantant le New York pré-Giuliani. Tout cela avant de sombrer, de disparaître, puis d’être redécouvert et ramené, pour mieux s’enfoncer dans des problèmes de consommation qui le suivront probablement jusqu’à sa tombe. Plus près donc de Last Days Here (2011) que de Searching for Sugarman (2012). Rien de nouveau sous le soleil en termes de dispositif narratif (têtes parlantes, photographies, extraits d’archives), mais le sujet et son emballage sont si emblématiques d’une période culte, qu’on ne peut qu’apprécier la cohésion du film et les souvenirs de l’entourage d’Hambleton.
Jour 2
Étrange cas que celui du FCVQ. Bien que la fréquentation des salles soit généralement convenable, la moyenne d’âge fait rapidement comprendre que la jeune cinéphilie peine à être au rendez-vous, malgré la diversité du contenu et l’organisation diablement bien ficelée de ce festival.
Les Gros becs accueillait une foule timide pour la présentation d’American Utopias, du réalisateur montréalais Maxime Pelletier-Huot. Tourné en quelques semaines aux États-Unis, le documentaire de Pelletier-Huot s’intéresse à cinq communautés alternatives distinctes, éparpillées çà et là sur le territoire américain. On y passe des minimaisons de Washington DC aux installations de l’architecte Paolo Soleri, en plein désert, pour finalement aboutir à l’improbable rencontre entre Mad Max et Woodstock que constitue Burning Man. On sent que le cinéaste a voulu laisser beaucoup de place à ses sujets, mais la remise en question de l’idée d’utopie ne semble jamais réellement abordée à travers les images tournées par le réalisateur, ce qui nous offre certes une idée d’où habitent ces individus sans pour autant nous informer suffisamment (à une ou deux exceptions près) quant à la manière dont ils cohabitent.
En début d’après-midi, le saisissant nouveau pavillon Pierre Lassonde, du Musée des beaux-arts de Québec, était l’hôte d’un programme double (comme tout au long du festival, les longs métrages sont précédés de courts) comprenant Terre Rompue d’Alexandre Rufin et Sur la lune de nickel, de François Jacob. Très bien pensé, Terre rompue, d’Alexandre Rufin, imagine le périple d’un réfugié, en replaçant celui-ci dans une forêt du Saguenay, en plein hiver. Des paysages boréaux, on passait ensuite au désarmant documentaire de François Jacob. Malheureusement absent pour cause de tournage dans un ancien pays de l’URSS (Kirghizistan ? Azerbaïdjan ? Le « -stan » fut mentionné trop vite), on comprend rapidement la fascination qu’a pu développer le réalisateur pour ces endroits reculés et peu touristiques. Sujet fascinant s’il en est un, Sur la lune de nickel part à la rencontre d’une riche fourchette d’intervenants dans la ville minière sibérienne de Norilsk, ancien goulag où les soldats étaient autrefois envoyés « à des milliers de kilomètres de nulle part ». Après American Utopias, la table était donc mise pour une dystopie russe où l’on croise des intervenants d’une rare qualité. On doit saluer la recherche derrière ce documentaire dont la variété des scènes laisse penser que le processus de sélection, lors du montage, a dû s’avérer pénible pour le cinéaste, tant il y avait de substance.
Premier de deux cinéconcerts présentés dans le cadre du FCVQ, La passion de Jeanne D’Arc, de Carl Theodor Dreyer, bénéficiait d’un accompagnement musical d’envergure, en la personne de Karol Mossakowski. Le jeune prodige français accompagnait au son de l’unique orgue Casavant de Québec les pérégrinations de l’inoubliable Renée Falconetti et le regard magnifique d’Antonin Artaud. Deux éléments manquaient néanmoins à la soirée : 1) un écran beaucoup plus grand, et 2) un public pour remplir près du 2/3 de la salle demeurée vide pour un cinéconcert de cette qualité.
Si le Palais Montcalm méritait plus de visiteurs, les Gros becs était rempli au maximum de sa capacité pour 120 battements par minute, de Robin Campillo. Une chaleur suffocante assiégeait l’auditoire pour le Grand prix du Festival de Cannes 2017. Incandescente fiction profondément ancrée dans l’expérience de Campillo, qui fut lui-même militant du groupe Act-Up Paris, durant les années 1990, le film qui représentera la France aux Oscars aura été sans contredit l’un des hauts faits du festival. Campé avant tout dans l’esprit de corps qui unit le groupe, 120 battements par minute joue sur cette notion du corps et des cellules attaquées sur un plan macro et micro. Le film reprend son souffle dans les scènes de clubs, tout en laissant constamment planer la menace de la maladie, bien illustrée par cette saisissante opération de caméra faisant tranquillement le point sur la poussière dans l’air, jusqu’à ce qu’une mousse revête les allures d’une entité microscopique.
Jour 3
De retour au Musée de beaux-arts pour Commodity City, de Jessica Kingdon, complément parfait au long métrage de Jiu-liang Wang, Plastic China. Véritable essai cinématographique, le film de Kingdon utilise le même dispositif filmique que Bestiaire de Denis Côté, mais dans le plus vaste marché de gros du monde, le Yiwu International Trade City. Les plans fixes et les angles restreints procurent tout sauf une impression de vastitude. On se retrouve plutôt prisonnier de microboutiques ; cellules diffuses qui sont autant de Dollarama spécialisés en un ou deux items, de l’oreiller en tête de chat jusqu’aux sapins de Noël en plastique.
Autre film placé sous le signe de la dystopie, Plastic China offrait un portrait désarmant de la vie d’un petit recycleur de plastique et de sa relation avec son employé alcoolique. Wang tape dans le mille dès le début de ce documentaire qui laisse réellement place à la pluralité des facettes de l’humain, dans un décor en ruine, où les poches médicales et les emballages de boissons gazeuses sont digérés par des moutons anémiques qui hantent le paysage. Il est d’autant plus fascinant de constater la conflictuelle relation des sujets avec l’ancien régime communiste, dans cette Chine où l’on pleure Mao, tout en se consolant au Salon de l’auto, en espérant oublier ses tumeurs cancérigènes causées par l’exposition à la pollution.
Dernier arrêt de cette troisième journée : Le Palais Montcalm. Encore une fois pas assez rempli pour un événement qui théoriquement aurait dû attirer un peu plus de monde : le passage de George Lazenby, acteur d’un unique James Bond (On Her Majesty’s Secret Service, 1969), dont l’autosabotage de la carrière sous les traits de 007 a inspiré le documentaire Becoming Bond, de Josh Greenbaum.
Soutenu par des reconstitutions sympathiques des histoires (probablement exagérées) de Lazendy, le film pose surtout la question à savoir pourquoi, s’il ambitionnait réellement être lui-même, George Lazenby prend-il un si malin plaisir à tout (sembler) exagérer. La panoplie des clichés autour des années 60 est déployée de manière à servir un humour politiquement incorrect et tout le côté coureur de jupons de Bond, sans pour autant conserver la classe qui est l’apanage du personnage inventé par Ian Fleming. Voir arriver Lazenby dans le siège passager d’une Audi décapotable criarde devant maximum 25 personnes n’a fait qu’accentuer cette impression.
23 septembre 2017