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Festivals

36e FIFA – 2018. Le radeau de la Méduse

par Gilles Marsolais

Depuis la mise à la retraite de son directeur général René Rozon et son remplacement au pied levé pour l’édition 2016, le Festival international du film sur l’art (FIFA) lutte pour sa survie. Des problèmes de gestion (impliquant des frais de représentation déraisonnables ainsi qu’un défaut de paiement de loyer, etc.) seraient à l’origine de ce malaise. Mais soulignons plutôt au passage le rôle ingrat joué par les intérimaires qui ont dû imposer au FIFA un régime minceur, alors que certains de ses commanditaires s’étaient retirés. Pour la troisième fois, au cours de la présente édition le FIFA a procédé à la nomination d’un nouveau directeur général. Celui-ci, Philippe U. del Drago, saura-t-il éviter le naufrage redouté par certains, voire remettre à flot ce radeau de la Méduse ? Ça reste à voir, mais souhaitons-le. Il pourrait en profiter pour renouveler la formule du FIFA, pour explorer d’autres avenues, sans verser dans l’extravagance, afin de rajeunir son public.

Il faut le dire, le film sur l’art, qui n’est après tout qu’un créneau spécialisé du genre documentaire, était devenu un fourre-tout sous la houlette de ce festival au fil des années, comme je l’avais déjà souligné dans un livre qui lui est largement consacré (Le film sur l’art, l’art et le cinéma: fragments, passages, Éditions Varia, Cinéma, Montréal). En clair, la multiplication des sections tous azimuts, afin d’accroître artificiellement le territoire de la grenouille, en était arrivée à faire se côtoyer Tarzan et Michel-Ange en toute légitimité. Le concept même du film sur l’art s’en trouvait dilué. Mais, à quelque chose malheur est bon ! Restons zen, puisque le jeûne imposé à la programmation ne semble pas s’être répercuté sur la qualité des films retenus, nettement moins nombreux. À preuve, le film-portrait, une spécialité du film sur l’art, a même pris du mieux.

En effet, plusieurs films qui s’imposent comme incontournables appartiennent justement à cette catégorie, privilégiée cette année. Désormais, on aura tort de la regarder de haut. Pour s’en convaincre, il suffit de voir Mstislav Rostropovitch, l’archet indomptable de Bruno Monsaingeon, qui a raflé le prix du FIFA dans ce volet. On découvre l’homme à la mémoire exceptionnelle, ami de Soljenitsyne qu’il a hébergé, qui a dû composer avec les tracasseries du régime soviétique, et l’artiste capable de faire sangloter son violoncelle. Valeur sûre du film sur l’art, le réalisateur, lui-même musicien, participe largement à son renouvellement. Voyez Becoming Cary Grant de Mark Kidel. Par strates successives, celui-ci réussit magnifiquement une exploration psychanalytique de ce personnage insaisissable. Et, du fait de la hauteur du regard qu’il établit d’emblée, le réalisateur reste muet sur les rumeurs hollywoodiennes concernant la star, puisque ce n’est pas le sujet premier du film. Dans la même veine, Philippe Kohly, un habitué du portrait qui ne déçoit jamais, avait réussi à nous épater une fois de plus avec son film précédent, Alain Delon, cet inconnu (2015), en dévoilant une dimension insoupçonnée, étonnante, de l’acteur. Mais avec son nouveau film il se surpasse. Ne ratez surtout pas Jacques Brel,  fou de vivre. Philippe Kohly parvient à y cerner – ne serait-ce que dans les incroyables modulations de son regard – les multiples personnalités d’un être exceptionnel et torturé, d’un être à la recherche de la vérité et avant tout farouchement épris de liberté. Avec tact et intelligence, le réalisateur va le plus loin qu’il est possible d’aller dans les derniers retranchements d’une vedette qui a connu la galère à ses débuts. Voyez aussi Buñuel, la transgression des rêves de Pierre-Henri Gibert, avec Jean-Claude Carrière qui partage ses propres interrogations au milieu d’une luxuriante iconographie reliant les fantasmes et les frustrations du cinéaste iconoclaste avec des images précises de ses films; ou encore, un autre film truffé d’archives inédites, Maurice Béjart, l’âme de la danse de Henri De Gerlache, qui insiste lui aussi avec raison sur la galère déterminante du danseur à ses débuts, puisqu’elle a favorisé l’émergence d’un chorégraphe qui allait révolutionner son art. Bref, au lieu d’une approche consensuelle et forcément positive qui reconduit les clichés de la littérature sur le sujet, ces films ont plutôt en commun de dégager la vraie personnalité de l’artiste, même avec ses côtés sombres. Et ils le font d’une façon dynamique, en rappelant que le montage est l’un des principes constitutifs du cinéma ! Il y a donc là un rejet radical de la sage interview et du défilé des têtes parlantes, une recherche poussée du côté de l’iconographie et dans les archives, elles-mêmes recontextualisées et mises en valeur en fonction de la situation abordée et du point de vue proposé par le réalisateur, ainsi qu’une exploration des contradictions de l’artiste le cas échéant, etc. En somme, l’image fabriquée, voire la tricherie ne résistent plus face à la mise en œuvre de ces moyens.

Ce simple coup d’œil qui témoigne d’une réelle diversité, nous permet d’espérer des jours meilleurs pour le FIFA.


24 mars 2018