Anima Tbilissi – Premières rencontres internationales pour SaqAnima
par Nicolas Thys
Pays montagneux de 4 millions d’habitants situé au croisement des continents européen et asiatique, la Géorgie est un pays culturellement à part, comme pris entre plusieurs univers et développant le sien propre. Elle a son alphabet et des traditions culturelles et artistiques qu’on peine à relier à telle ou telle région tant elle semble les contourner pour développer ses spécificités.
Depuis le Québec, son cinéma est essentiellement lié à Sergueï Paradjanov, Nana Djordjadze, Otar Iosseliani qui a élu domicile à Paris au début des années 80, ou Mikhaïl Kalatozov, dont Quand passent les cigognes a remporté la palme d’or en 1958. Du temps de l’URSS, plusieurs studios ont permis la création de nombreuses œuvres tant de fiction en prise de vues réelles que de documentaires ou de films d’animation. Souvent courts, parfois longs, l’histoire de ces derniers remonte à la fin des années 1920.
Animation Géorgienne
Pour les plus ardents cinéphiles francophones, la première rencontre avec l’animation géorgienne s’est probablement faite à travers Plague de David Takaishvili, film étonnant qui a eu les honneurs d’une palme du court métrage au festival de Cannes en 1984. Cette œuvre masque de nombreux autres films et studios, qui ont en particulier développés une grande tradition de films de marionnettes et de papiers découpés des années 1950 et 1970, qui n’ont guère connu de diffusion en Europe de l’ouest.
Aujourd’hui parcourir l’histoire de l’animation géorgienne est plus aisé grâce aux outils numériques. Mais si l’on peut voir quelques images des Argonautes de Vladimir Mujiri ou Tsuna et Tsrutsuna d’Arkadi Khintibidze, il est moins évident de découvrir les films des années 1990 et 2000. Pour cause, la crise économique qui a frappé le bloc de l’est après la chute de l’URSS a fait s’effondrer l’activité de l’industrie cinématographique dans son ensemble, les studios ont mis plus d’une décennie à se relever et ce n’est que dans les années 2000 que la production a commencé à véritablement reprendre. Et si certains cinéastes sortent du lot, obtenant de nombreuses sélections en festival, le cinéma d’animation géorgien commence seulement depuis une douzaine d’années à revenir sur le devant de la scène avec des courts métrages dont plusieurs sont issus de coproductions, la faute à un système qui ne le finance que trop peu.
Anima Tbilissi & SaqAnima
C’est dans ce cadre que Mariam Kandelaki, cofondatrice de SaqAnima, association qui regroupe les principales instances du cinéma d’animation géorgien, en collaboration avec USAID, a organisé Anima Tbilissi, une première série de conférences professionnelles le temps d’un weekend, les 13 et 14 novembre 2021. Depuis 2019, SaqAnima cherche à intégrer pleinement la Géorgie dans les processus de développement de l’animation internationale à travers des partenariats, collaborations et investissements avec différents pays du monde. L’idée étant, qu’en réunissant les talents du pays, en centralisant les moyens de production et en développant formations et savoirs, la Géorgie puisse développer de nouveaux projets dans de meilleures conditions.
La Géorgie est déjà fort de plusieurs festivals importants, en particulier ceux de Nikozi, situé dans un petit village en plein cœur du pays, et de Batoumi, sur la côte de la mer noire, mais les rencontres professionnelles y sont quasi inexistantes. L’événement emmené par SaqAnima était donc attendu car complémentaire des différentes manifestations déjà existantes et comblant un manque certain. L’accueil fût chaleureux et les parcours des uns et des autres passionnants à écouter car très différents et apportant des points de vues variés sur différentes façons de faire des films dans plusieurs régions du globe.
Destinées à réfléchir au présent et au futur de l’animation géorgienne à travers différentes pratiques issues de Géorgie et de divers pays du monde, ces rencontres internationales ont permis de proposer un état des lieux de l’animation géorgienne mais aussi de discuter sur des thématiques diverses, tant économique qu’historique ou esthétique. Se sont ainsi succédées, dans les salons du luxueux hôtel Rooms, situé en plein cœur de la ville, plusieurs masterclasses et tables rondes avec des invités venus de France, du Canada mais aussi de Bulgarie ou d’Allemagne ou du Royaume uni.
Objectifs et conférences
Anima Tbilissi s’est ouvert sur une série de conférences introductives, dans lesquels USAID, le consulat d’Azerbaidjan, le Goethe Institut mais aussi Peter Lord ou Ron Diamond sont revenus sur leurs liens avec la Géorgie, l’importance de l’animation dans ce pays et son attrait pour un marché potentiel. Ensuite, plusieurs prix ont été remis à un film en projet décerné avec le festival d’Annecy, ainsi qu’à un long métrage en cours d’élaboration, Where is Liza Going ? de Nana Janelidze, coproduction entre la Géorgie et la France qui devrait comporter 20 minutes animées. Se sont ensuiite succédées deux tables rondes.
La première est revenue sur l’intérêt de proposer des coproductions et collaborations à l’international. Elle a permis de faire le point sur des données économiques, en particulier avec deux interventions sur les détaxes pour les investisseurs et celle du directeur du centre national du film de Géorgie. Mais elle a surtout réuni trois personnalités et autant de manières de travailler avec l’international. Le fondateur de POSTRED, une société de postproduction sonore de Tbilissi, a évoqué son expérience américaine et a insisté sur la modernisation des équipements pour être à la pointe, ce qui lui permet de travailler encore maintenant sur des films hollywoodiens. Issus du cinéma d’auteur, la bulgare Vessela Dancheva et le français Olivier Catherin ont pu revenir sur leur façon de produire. La première a ainsi évoqué son expérience et sa volonté de coproduire pour éviter d’être dépendante de fonds locaux trop incertains. Le second a parlé de sa longue collaboration avec la Géorgie, ayant produit plusieurs cinéastes dont Ana Chubinidze, et du soutien français au cinéma d’animation national et international.
La deuxième table ronde rappelait la phrase finale de l’ouvrage de Malraux : « Par ailleurs, le cinéma est une industrie » et a fait le pont entre de deux versants insécables du cinéma d’animation. Il est à la fois une pratique artisanale/artistique mais il repose nécessairement sur une économie et des pratiques de studios. Dans ce panel figuraient en particulier Marc Bertrand de l’ONF/NFB qui est revenu sur la manière de travailler et d’expérimenter de Norman McLaren mais aussi Claus Löser, journaliste et auteur allemand, et Rosangela de Araujo, animatrice et enseignante originaire du Brésil qui ont chacun évoqué leur manière respective de travailler et d’intégrer l’animation dans un processus avant tout artistique.
La deuxième journée a été composée d’une série de Masterclasses données par Rosangela de Araujo, Vessela Dancheva et Claus Löser. Tous ont comme point commun d’être intervenus sur des pratiques artisanales et différentes des discours habituels sur la manière de fabriquer une œuvre animée. Ils ont cette fois eu une heure pour évoquer leurs trajectoires. La première a parlé de son enseignement, de son rapport à la prise de vue réelle et de ses films qu’elle parvient à faire parallèlement à ses cours. La seconde est revenue sur l’histoire de sa société de production, l’importance des festivals, de la formation à l’étranger lorsque le pays n’en propose aucune et, enfin, sur les films qu’elle a pu réaliser produire en Bulgarie. Elle est plus spécifiquement intervenue sur une série de poèmes animés dont elle vient de superviser la création en parlant de la manière de les accompagner sous forme d’expositions/projections. Enfin, Claus Löser a fait une intervention sur le cinéma underground est-allemand, peu connu mais passionnant et ouvrant également une autre voie dans la manière de penser le cinéma comme pratique politique et artistique.
Pour conclure chaque journée, suivie par un public nombreux en dépit des conditions difficiles liées au COVID et à l’organisation d’un événement professionnel en plein weekend, l’équipe de SaqAnima a proposé une présentation générale de la filière animée en Géorgie et une présentation des derniers courts métrages réalisés. Chaque journée a été ponctuée pour les participants de visites de la ville mais également de studios aménagés dans une des parties de l’hôtel qui n’accueille pas encore de public. On a ainsi pu découvrir quelques images d’Igi de Natia Nikolashvili sélectionné lors de l’édition 2021 du Cartoon movie. Ne reste qu’à espérer, devant le succès et l’intérêt pris lors de ce premier Anima Tbilissi, que la manifestation revienne et se déploie rapidement.
21 Décembre 2020