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Festivals

Animafest Zagreb 2023 – Compétition et palmarès

par Nicolas Thys

Après deux jours à arpenter la ville pour rejoindre les expositions et à découvrir le festival et le surprenant lieu culturel et estudiantin qui l’accueille, sorte friche artistique aux multiples théâtres et endroits conviviaux, revenons à la programmation.

Nous avons tout d’abord pu suivre deux masterclasses. Michelle et Uri Kranot, couple d’artistes israéliens basé au Danemark, venait parler d’Anidox:Lab, un laboratoire d’expérimentations autour du documentaire et de l’animation. Il a permis de développer et de faire émerger des talents dans le domaine à l’instar de Jonas Poher Rasmussen, réalisateur du récent Flee. Ce fût également l’occasion de revoir quelques documentaires animés faits à partir d’archives ou d’enregistrements filmiques rotoscopés, du duo de cinéastes comme White tape, Black tape et How long, not long.

Seconde masterclass, et non la moindre, avec Tal Kantor. Elle est l’autrice de Letter to a pig, magnifique court métrage sur la résilience et la mémoire autour d’une enfant qui, en classe, écoute un survivant de l’holocauste avant de fuir dans un monstrueux cauchemar. Le film brillait par son hybridation de différentes techniques d’animation, VFX sur écran vert et incrustations d’éléments live. La réalisatrice s’est exprimé pendant une heure en livrant les coulisses de la fabrication du film depuis le premier pitch du projet à Annecy jusqu’au tournage avec acteurs, animaux et sur sa façon d’animer.

Tal Kantor - Animafest

N’étant pas présent pendant tout le festival, nous n’avons pu voir toute la compétition courte.  Cependant, sur les différents programmes, parfois inégaux mais possédant une réelle ligne éditoriale, nous retiendrons cinq films. Mention toutefois au quatrième programme, plus sombre et de haute tenue en dépit de Parallel, un film espagnol de Sam Orti aussi navrant que banal.

C’est dans ce programme que figurait World to roam, nouvelle pépite sombre et absurde signée Stephen Irwin, auteur notamment de The Obvious child et de The Black dog’s progress. Le film évoque l’anxiété et l’angoisse parentale voire la dépression post-partum mais d’une manière irréaliste et fantasmagorique, avec bébé en flammes, échappées dans d’étranges contrées et espaces clos claustrophobes. Le cinéaste joue beaucoup sur les rapports entre aplat et volumes, noir et couleurs ternes pour construire un univers malsain, dans lequel on ne sait jamais trop où l’on se situe, mais psychologiquement radical. Les monstres sont souvent intérieurs et ils s’extériorisent ici à merveille.

Ensuite, l’iranienne Zohra Salarnia proposait n°28, un très court métrage à la forme surprenante. Composé de différents split screen carré et sans voix off, elle évoque des instants de vie, elle se replonge dans les méandres de sa mémoire d’où émergent des images fortes, toutes dessinées au crayon, en noir et blanc. Du calme de l’enfance, aux remous de la ville et de la révolution, le film est politique sans jamais être trop explicite et c’est là sa grande force. Notons l’ingéniosité avec laquelle la cinéaste utilise les apparitions et disparitions de cadres.

Stephen Irwin - World to roam

Dans Family portrait, la serbe Lea Vidakovic propose une vision acerbe et froide de la famille, le tout illustré avec des marionnettes réalistes dont la surface en silicone amplifie un certain aspect monstrueux. A l’aube de la première guerre mondiale, un homme et sa fille vivent dans une somptueuse demeure quand arrivent les membres de sa famille. Enfants, animaux, oncles, tantes envahissent la maison bourgeoise et se l’approprient tout en la détruisant. Métaphore de la fin d’un monde qui approche inexorablement, le film dissèque dans différentes saynètes, de façon poétique et désenchantée, la manière dont les relations familiales, contraintes et malheureusement indéfectibles, peuvent mener au pire.

Plus expérimental, Our Pain de Shunsaku Hayashi aborde lui aussi certains troubles et notamment la dépression et la douleur mais à l’aide d’éléments qui frôlent l’abstraction. Le cinéaste, en compétition à Annecy avec Leaking life en 2019 propose un voyage étrange, trouble et troublant, dans lequel un genou écorché devient un inquiétant lieu de prolifération du mal, d’une expression doloriste qui se fait homme et fantôme, dans lequel un individu pénètre et se disloque. Paradoxalement, quelque chose de beau et d’envoûtant se dégage de cette étrange figure jusqu’à une scène de thérapie de groupe des plus perturbantes.

Enfin, dans Y, Matea Kovac part d’une ligne pour évoquer un corps, un sexe, une relation lesbienne, sa figuration et sa défiguration comme dans un souvenir. D’une feuille émerge un trait noir et le dessin se fait plus présent, intense, dynamique, sexuel et violent avant de repartir vers quelque chose de plus doux et de rebondir encore et encore. Son travail est, au départ, minimaliste mais ce minimalisme est une force car il lui permet d’intensifier le travail de création artistique, de jouer sur l’esquisse en perdue mouvement, et donc toujours tendu vers une suite quasi improvisée. Le film est doté d’une énergie et d’une sensibilité qui se conjuguent agréablement.

Matea Kovac - Y

En dépit de conditions climatiques peu favorables, cette édition fût mémorable et intense et le festival mérite amplement sa réputation. Seul bémol pour la compétition courte, un présentateur de Q&A assez navrant dans les questions qu’il posait et l’impression qu’il considère le public comme bête. Notre seul regret : ne pas avoir pu voir davantage de programmes mais entre les panoramas, films étudiants, compétitions, séances spéciales il est impossible d’assister à tout.

 

Et voici le palmarès des principaux prix de cette édition 2023. A noter que chacun des membres du jury est invité à donner un prix à son film favori :

  • – Grand Prix : Varya Yakovleva, Oneluv
  • – Prix spécial du jury attribué par Tal Kantor : Florentina Gonzalez, The World’s after
  • – Prix spécial du jury attribué par Vuk Jevremovic : Shunsaku Hayashi, Our pain
  • – Prix spécial du jury attribué par Hisko Hulsing : Sofia Melnyk, Mariupol. A hundred nights
  • – Prix spécial du jury attribué par Hugo Covarrubias : Zhang Xu Zhan, Compound eyes of tropical
  • – Prix spécial du jury attribué par Aneta Ozorek : Olivér Hegyi, The Garden of heart
  • – Prix Zlatko Grgic du meilleur premier film : Stephen Vuillemin, A Kind of testament
  • – Prix Zlatni Zagreb pour l’innovation artistique : Joseph Pierce, Scale
  • – Prix du public : Joao Gonzalez, Ice merchants
  • – Meilleur film croate : Lucian Mrzljak, Morten Tsinakov, Eeva
  • – Prix Dusan Vukotic du meilleur film étudiant : Vivien Harshegyi, Above the clouds
  • – Prix du meilleur film pour enfant : Olga Titova, Socks for the star
  • – Prix du meilleur film en VR : Mélanie Courtinat, All unsaved progress will be lost
  • – Prix du meilleur long métrage : Signe Baumane, My love affair with marriage

Varya Yakovleva - Animafest


11 juin 2023