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Festivals

Animateka 2016 – Jour 2 : De l’avis des marionnettes

par Nicolas Thys

Cette deuxième journée à Ljubljana aura notamment été rythmée par trois programmes de courts métrages (compétition, étudiant et « best of the world ») et une visite des plus intéressantes au château qui surplombe la ville avec son musée qui retrace l’épopée du théâtre de marionnettes en Slovénie, des années 1910 à nos jours. Le cinéma y est également évoqué en quelques films, exposant quelques éléments du Boles de Špela Čadež, l’un des plus importants films slovènes de ces dernières années.

Au cours de ces trois séances, l’un des éléments les plus notables aura été la manière dont les films communiquent et se répondent entre eux alors qu’ils sont pourtant éloignés les uns des autres. Les insectes se sont une fois encore immiscés entre les interstices de plusieurs films, devenant une sorte de thématique secondaire du festival avec, entre autre, les 45 secondes du Beeboy de Sadko Hadžihasanović et Hanna Jovin, ou cette mouche-alien qui se compose et se décompose en trois phases au milieu d’autres animaux monstrueux dans Love de Réka Bucsi. Les hommes stressés prennent également la grosse tête jusqu’au risque d’éclatement dans Analysis Paralysis d’Anete Melece, comme dans le film étudiant Pressure de Markus Tervola – il serait intéressant de les comparer l’un et l’autre pour voir comment un motif similaire est traité. De même, l’idée d’utiliser des photographies et des images du monde issues des informations revient dans Le Journal animé de Donato Sansone comme dans Spa End of the World d’Andrea Guizar. Cette hybridation des moyens est quelque chose qu’on voit de plus en plus souvent, mais le trouble vient de la manière dont les techniques s’entrelacent et expérimentent comme c’est aussi le cas dans 4min15 au révélateur de Moïa Jobin-Paré ou In Other Words de Tal Kantor qui réutilise de manière subtile le « réalisme psychologique » de Chris Landreth.

Jusqu’à cette hybridation naturelle qu’est la marionnette, corps se déplaçant dans le monde réel mais mis en mouvement image par image. Et c’est bien celle-ci qui était au centre de l’attention aujourd’hui, revenant trois fois dans une compétition axée sur les pays d’Europe de l’est et d’Europe centrale, insistant donc sur l’importance qu’elle revêt dans cette partie du monde.

On commence par Farewell du Slovène Leon Vidmar qui utilise ses pantins comme vecteur du souvenir dans un film mélancolique et minimaliste où le quotidien se retrouve hanté par le passé. Un homme dans son bain se remémore son enfance au bord d’un lac avec son grand-père et des parties de pêche. Les deux temporalités se tressent et se superposent jusqu’à ce que l’une prenne le dessus sur l’autre le tout dans une grande simplicité et avec de jolies idées de mise en scène. C’est la mémoire historique qui est ensuite à l’œuvre dans The Steinway de l’italien (oui, Europe « « centrale » ») Massimo Ottoni. Ce film de guerre où Autrichiens et Italiens, sur le front, cessent un moment les combats suite à la découverte d’un piano de concert. Le réalisateur passe de l’animation de pantins, répliques d’humains fragiles et cassants, au dessin animé lorsque la musique commence. Quelques notes suffisent pour faire perdre aux protagonistes une matérialité effroyable et les faire passer dans un ailleurs où la guerre n’est plus qu’une simple idée, même si la réalité rattrape souvent les rêveurs. Le concept est simple mais plutôt réussi.

Enfin, les deux thématiques précédentes, la mise en mouvement du souvenir et la mémoire, retravaillées par la marionnette et traversées par la prise de vues continues, sont au cœur du dernier film de l’estonien Ülo Pikkov, Empty Space. Celui-ci n’est ni tout à fait documentaire, ni tout à fait fiction et fait exploser toutes les frontières. Le cinéaste pose d’emblée son propos dans une mise en abyme où ce n’est pas, comme souvent, la main d’un dessinateur qu’on voit, mais un plateau de tournage, des arrières plans noirs et des éclairages. Puis il nous fait entrer dans l’univers quotidien d’une poupée de petite taille, à l’apparence à la fois humaine et lointaine. Elle sera alors constamment rappelée par une réalité visuelle et sonore qui la dépasse, notamment dans deux moments particulièrement frappants en caméra subjective où le spectateur voit le monde depuis les yeux de ce personnage qui n’est ni vraiment de ce monde, ni vraiment de l’autre.

La thématique du souvenir et du trauma enfantin étaient également de Fragments du portugais José Miguel Ribeiro vu dans la catégorie « best of the world », un autre film qui joue sur le mélange des techniques. A croire que les animateurs ont souvent quelque chose à régler avec leur passé. Et si la marionnette était absente de cette catégorie, elle était en revanche présente dans quatre films de la compétition étudiante européenne, prenant des formes différentes et cherchant chaque fois à exprimer un état du monde et de ceux qui l’occupe.


7 décembre 2016