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Festivals

Animateka 2016 – Jour 3 : Retour à l’école

par Nicolas Thys

Alors que pour certains les vacances approchent, aujourd’hui c’était la rentrée à Animateka avec deux classes de maitre données par les réalisateurs Paul Bush et Chris Landreth. Autant dire qu’on se bousculait pour y aller et moins pour en sortir. Ce genre de rencontres offre parfois un résultat peu passionnant mais ici, tout en étant de grands animateurs, l’un comme l’autre ont l’habitude d’enseigner, de donner des conférences et ils excellent à ce genre d’exercice.

Ils ont axé leur discours sur des questions de perception et de psychologie et, tout en étant technique, sont restés faciles d’accès pour une audience large, expliquant tout le processus de leur réflexion en détail. Paul Bush, en prenant ses films en exemple – avec un aperçu de son prochain court métrage – et en s’appuyant sur A.R Luria et Oliver Sachs, a notamment abordé la question du photogramme, de la vitesse de défilement et des jeux qu’on pouvait faire autour de la lumière ou en intercalant de nouveaux photogrammes dans des œuvres cinématographiques préexistantes. Chris Landreth, qui travaille avec les images de synthèse et se définit comme un obsessionnel des expressions faciales, s’est livré à une jolie performance en résumant en 1 h 20 un cours qu’il donne en 48 heures. Tout en faisant référence aux travaux sur les émotions de Paul Ekman, il a notamment expliqué, à l’aide d’une modélisation 3D, les problèmes posés par leur reconnaissance sur un visage humain et la manière dont on pouvait utiliser et animer ses 14 muscles principaux afin de recréer 42 unités d’actions liées à la colère, le dégout, la joie, la peur, la surprise et la tristesse.

Après une courte pause et une exposition – elle aussi un peu courte – autour du dessinateur et réalisateur 3D Dusan Kastelic, nous avons rejoint les rangs de la Kinoteka pour la compétition étudiante. Sur les 13 films présentés aujourd’hui, ce sont les polonais avec Superfilm de Piotr Kabat, et Ink Meets Blank de Tymon Albrzykowski, ainsi qu’une étudiante suisse, Katrin Jucker, avec I Felt like Destroying Something Beautiful, qui ont pris le dessus. Le premier s’amuse des blockbusters hollywoodiens depuis le carnet de dessins d’un animateur dont l’objectif est de créer une œuvre d’art à leur image à l’aide d’un papier et un crayon. Il revisite certains types de scènes classiques dans un dessin minimal et un rythme vaguement bancal, exacerbant la parodie avant d’exploser en vol ! Les deux autres courts métrages choisissent quant à eux l’abstraction, ce qui n’est pas courant dans les écoles. Ink meets Blank est du dessin à l’encre sur pellicule 35 mm et un joli format 1:33 qui détonne par rapport au reste des productions. Il assemble et métamorphose des formes géométriques peintes à l’encre noire sur un fond blanc en rythme avec une partition musicale. Certes, il ne révolutionne pas le genre du film sans caméra mais il revisite avec habileté certains motifs de manière tout à fait réussie. Enfin, le psycho-film de Katrin Jucker possède le plus beau titre de la compétition, référence à Fight Club, qu’on retrouve dans le côté anarchique de sa démarche ! En moins de trois minutes, elle détruit les conventions en commençant par une animation saccadée de mannequins issus de catalogues avant de déraper, de se distordre et se déformer dans un déluge de codes erreurs et défaillances d’images empruntés aux médias comme la télévision et l’informatique ainsi qu’aux glitchs des jeux-vidéo, le tout jusqu’à la fatale erreur système. Elle offre une utilisation originale d’un cinéma informatique.

Côté compétition, le programme du jour était globalement moins fort que celui d’hier, ce qui a permis de mettre en valeur un film vu lors du dernier festival d’Annecy et relégué à tort au second plan : Planemo du Croate Veljko Popović. Un planemo est un objet de la masse d’une planète qui n’est attaché gravitationnellement à aucune étoile et flotte dans l’espace. Reprenant à son compte la définition, le réalisateur propose une métaphore du genre humain où certains individus pris dans l’engrenage du quotidien s’en trouvent éjectés. La thématique est assez proche du Skhizein de Jérémy Clapin sauf qu’ici, après un accident, l’homme ne vit pas hors de son corps mais voit sa surface modifiée, recomposée et le faire habiter en dehors de la norme humaine. Si le récit de Skhizein était plus construit, Planemo cherche avant tout l’expérimentation plastique, utilisant les assemblages polygonaux de la 3D dont il ne faudrait pas masquer les coutures ; les êtres « normaux » possédant une structure volatile et grise qui les rend mimétiques alors que le protagoniste se voit réassemblé, mis en couleur et inadapté au monde. Elément amusant, le planemo est aussi défini comme étant un astre sphérique n’atteignant pas le seul de fusion nucléaire en son sein, ce qui est davantage la caractéristique des personnages secondaires, décomposés en une multitude de particules élémentaires incapables de fusionner. Peut-être l’idée que, chez les humains, le fait de graviter ensemble n’empêchera jamais une certaine solitude : la seule planète, le seul véritablement vivant est en marge.

Enfin, on voyait pour la troisième fois le film Beer, récitation scrupuleuse par l’italien Nerdo d’un poème de Bukowski. A la première vision, on découvrait une banale illustration. Pour la seconde, on s’est contenté d’écouter le poème : jolie voix. A la troisième on regardait seulement les images défiler : une animation intéressante. Quand est-ce que les réalisateurs comprendront qu’une animation poétique ne nécessite pas forcément (euphémisme) que le texte du poème soit récité ? Le cinéma n’est pas de la littérature, l’animation se suffit à elle-même. Du coup, peu importe la qualité du poème, de la voix, de l’image, le plaisir est gâché par des effets de redondances insupportables. En parallèle, dans le programme en compétition précédent, on s’était beaucoup amusé d’un film suisse de Jadwiga Kowalska, The Bridge over the Water, adaptation libre d’un poème de Johann König par les seuls moyens du dessin et des bruitages sans qu’un mot ne soit récité : le film est narratif, réussi et parvient à un degré d’humour noir autour du suicide que Nerdo n’effleure même pas, ce qui est triste pour Bukowski. Autre exemple de création poétique en compétition, le mélancolique et contemplatif Waiting for the New Year de Vladimir Leschiov. Ce dernier n’est pas tiré d’un poème mais il utilise les moyens audio-visuels du cinéma et de l’animation pour arriver à composer une œuvre subtile autour de la solitude et du passage du temps qui en fait un véritable instant de poésie.


8 Décembre 2016