Animateka 2016 – Jour 4 : Voyage vers l’étrange (en passant par la 3D).
par Nicolas Thys
Jeudi déjà. La fraicheur hivernale se fait de plus en plus ressentir après une heure de marche parmi des bâtiments colorés, entre architecture gothique et art nouveau. Le nombre de musées et monuments est important et on pourrait en visiter deux toute la semaine sans en avoir fait le tour, mais le cinéma municipal et la Cinémathèque slovène nous rappellent et nous réchauffent le temps de quelques séances.
C’était la fin du volet professionnel d’Animateka, qui a vu une discussion autour des écoles et des dispositifs européens liés à l’animation et un making-of de l’excellent Psiconautas d’Alberto Vazquez et Pedro Rivero par l’un de ses animateurs principaux, Santiago Riscos. Nous avions déjà parlé de ce film réalisé en animation traditionnelle, à la fois sombre et pourvu d’un humour noir féroce, sur un super-antihéros et la décrépitude du monde qui l’entoure. Adapté d’un roman graphique du réalisateur, il est, depuis, sorti en Espagne et continue à faire le tour des festivals. On espère qu’il aura la chance d’être distribué dans le monde entier et accompagné par des exploitants intelligents, car il en a besoin pour joindre un large public qui, pour la majorité, n’a pas l’habitude de ce genre de film mais pourrait facilement être conquis. Santiago Riscos a retracé les grandes étapes de la production du film, depuis le court métrage initial, Birdboy, sorti il y a environ 5 ans, jusqu’à la réalisation, en revenant sur les premiers tests et en expliquant qu’à l’origine le long métrage aurait dû être conçu en 3D noir et blanc. Les premiers essais étaient d’ailleurs accompagnés d’une musique qui faisait fort penser à du Danny Elfman et il est vrai que la filiation avec un certain esprit burtonien des années 90 n’est pas très loin. De même, il a expliqué que le film avait été fait pour moins d’un million d’euros, ce qui n’est rien quand on voit la qualité de l’animation. L’équipe a pour cela adopté une méthode de travail proche des studios japonais – le minimum de traits pour exprimer un maximum – et américains – un animateur pour un ou deux personnages – ce qui leur a permis de faire un long métrage en un temps record.
Ensuite, nous sommes parti revoir, pour un cours d’histoire, Chris Landreth, qui présentait son travail, retraçait son parcours et proposait de voir quelques uns des premiers films réalisés en images de synthèse et mettant en scène un être humain. Qu’on apprécie ou non la 3D, l’ensemble était passionnant et cohérent. Le réalisateur de Ryan est parti du premier essai d’Ed Catmull, le papa de Pixar, qui réalise en 1973 le premier film mettant en scène une partie du corps humain, A Computer Animated Hand (film que Richard T. Heffron reprendra dans Futureworld en 1976), jusqu’aux « films d’art » réalisés avec ces nouvelles images et projetés dans les espaces muséaux dans les années 90 – auxquels répond de façon parodique le court métrage de Landreth, The End. Il s’est aussi attardé sur la production des années 1985-1995, celles de la « révélation » avec le film Rien qu’un souffle de Daniel Borenstein, et celles du développement des logiciels ou de l’informatique. On a ainsi pu voir le premier personnage animé en 3D dans un film narratif, Tony de Peltrie (P. Lachapelle, P. Bergeron, P. Robidoux et D. Langlois), réalisé au Québec en 1985, un rêve surréaliste et funèbre de 1990 : Wanting for Bridge de Joan Staveley, ou encore une expérimentation (méta)physique de 1992, Liquid Selves de Karl Sims.
Du côté des programmes courts, on passera rapidement sur l’excellent « best of the world » dont on avait vu tous les films à Annecy à l’exception du joli film court de Gagnol et Felicioli, Un plan d’enfer, une histoire de voleurs et de chats (comme une vague impression de déjà-vu ?). On s’attardera davantage sur la compétition étudiante qui était globalement d’un très bon niveau. On retiendra notamment deux courts-métrages français de l’EMCA et de la Poudrière : Insolation de Léa Fabreguettes, film futuriste écolo jouant sur les couleurs chaudes et froides et plastiquement très beau et le géométrique et angulaire La Table d’Eugène Boitsov qu’on imagine inspiré par le style UPA, très direct, minimal et amusant. On a également eu droit à un court et efficace exercice de style, Pink Cut Pinks d’Alma W. Bär, qui utilise en moins de deux minutes les principales techniques d’animation dans le voyage mental d’une jeune fille oppressée par le fait d’être coiffée. Il faut aussi mentionner les films britanniques de la National Film and Television School comme l’original et très bien écrit The Wrong End of the Stick de Terri Matthews, sur un homme qui désire être un chien, ou le plus abstrait Sea Child de Min-Ha Kim, cauchemar visuellement parfait et entièrement peint d’une pré-adolescente qui suit un groupe d’hommes et espère rencontrer sa mère. Enfin, la Pologne confirme la bonne santé de ses écoles avec le court métrage de Marta Magnuska, Foreign Body, doté d’une animation simple qui met l’accent sur les mouvements du trait et la transformation physique et mentale d’un individu qui apprivoise petit à petit un corps étranger.
Côté compétition européenne, Animateka offrait un voyage au pays du bizarre, de l’absurde et du loufoque dans des contrées mystérieuses. En gros, c’était un vaste n’importe quoi, ce qui en soit est très positif ! Au point qu’un film comme Ghost Town de Marko Djeska, dans lequel un homme continue à vivre normalement dans une grande ville déserte à cause de la guerre pendant qu’un rhinocéros mange des parechocs de voiture, a pu paraitre très convenu (et peut-être l’était-il d’ailleurs). Si l’on pouvait distribuer des prix aux films les plus singuliers, ils reviendraient pour sa forme, ses couleurs et ses métamorphoses surréalistes à Superbia de Luca Toth qui continue un joli parcours en festival depuis sa sélection cannoise, et pour son récit ubuesque et grandguignolesque à Face de Jurgis Krasons. Le réalisateur se focalise sur un homme qui, ne se reflétant plus dans un miroir, commence à faire tout ce qui est (im)possible pour retrouver son reflet. Evidemment, cela ne pouvait qu’impliquer une transformation en bouilloire ou en fantôme dans des moments très plymptoniens, un démembrement, un avion dans le salon ou encore, et c’est sûrement le plus choquant, de faire le ménage chez soi (franchement qui a déjà vu un homme faire le ménage ?!?!?).
Mais le film le plus intéressant reste Au revoir Balthazar de Rafael Sommerhalder (rien à voir avec le hasard de Bresson), périple vers la mer d’un épouvantail en bois constitué de quelques formes rectangulaires et d’une jambe cassée. Le récit est simple et lisible et utilise agréablement les potentialités sonores de l’animation tout en présentant une forme singulière puisqu’on est dans un film plat en volume, une « 2,5D ». Balthazar est en quelque sorte à la marionnette ce que la clay-painting de Joan Gratz est à la pâte à modeler ; on perçoit la possibilité d’un espace volumétrique mais celui-ci est entravé par les faibles capacités du personnage à se mouvoir. Ses déplacements ne se font que de gauche à droite dans un décor dont on ressent peu la troisième dimension, même si elle est présente, ce qui renforce peut-être encore la puissance du contre-champ qu’on imaginait impossible à la fin du voyage du pantin désarticulé.
9 Décembre 2016