Annecy 2015 J -1 : Le festival est en marche…
par Nicolas Thys
Le festival du film d’animation d’Annecy version 2015 débute officiellement lundi, mais, selon les publics, il a déjà commencé ce samedi. Deux jours avant le lancement, c’est le moment où les équipes techniques se préparent et où on accueille les armées de bénévoles qui vont guider les spectateurs toute la semaine durant. Et, premier changement cette année : fini les haras, retour à Bonlieu. La salle mythique du festival est enfin rénovée après deux ans de travaux et le résultat est des plus élégants. On espère maintenant que les projections suivent sans les quelques problèmes techniques ayant eu lieu l’année dernière lors des premières séances. C’est également le moment de savoir si le fromage est toujours de qualité et de tester raclettes et fondues avant de ne plus avoir le temps pour cause de programme surchargé. Car si une chose ne changera jamais, c’est le nombre (trop) important de séances pour à peine six jours de festival, et on sent que la frustration sera encore au rendez-vous !
Et donc, ces séances ? Annecy c’est d’abord la caverne au trésor du court métrage. Si certains ont déjà pu être aperçus dans quelques festivals, les nouveautés sont nombreuses et la sélection courte en et hors compétition est particulièrement alléchante. On y trouvera notamment les nouveaux films de Claude Cloutier, Adam Elliott, Rosto, Pritt Tender, Michèle et Uli Kranot, Paul Wenninger, Mauro Carraro, Andreas Hykade, Cordell Barker, Paul Bush, Don Hertzfeldt, Ulo Pikkov, Pierre Hébert, Theodore Ushev ou Jerzy Kucia… Et pour l’avoir vu aux Sommets du cinéma d’animation à Québec, on commencera par conseiller très fortement la Fugue pour Violoncelle, trompette et paysage du réalisateur polonais Jerzy Kucia. Après plus de douze ans d’absence, il revient avec une œuvre musicale éblouissante, toute en compositing. Si les vibrations sonores peuvent être représentées et dessinées sous forme de courbes, et nombreux sont les cinéastes à s’en être inspirés, ici Kucia rejoue et se joue de ces formes. À mesure que la musique est interprétée, que les sons naissent et meurent, un long travelling déploie et métamorphose lignes et points afin de donner naissance à un paysage en mouvement, imaginaire et complexe. Le synchronisme et les contrepoints sont parfaits, donnant l’impression que la fugue en question ne pouvait que lancer et transfigurer ce paysage mental qui se déploie jusque dans une troisième dimension pour sortir de son abstraction originelle.
Outre les courts compétitifs, Annecy organise cette année deux focus autour des femmes dans l’animation et de l’Espagne. Côté féminin, un cristal d’honneur à Florence Miailhe, cinéaste française qui a beaucoup travaillé les techniques de la peinture et du sable animé dans des courts métrages d’une grande intensité poétique comme Conte de quartier ou Au premier dimanche d’août. On en profitera pour signaler qu’elle prépare actuellement un long métrage en peinture animée, La Traversée, une sorte de conte autour du voyage d’enfants de migrants vers des terres libres dont on a déjà entrevu quelques images et qui donne particulièrement envie. On pourra juste regretter l’absence de quelques noms importants comme Gisèle Ansorge ou Monique Renault dans les divers programmes proposés, mais, en parallèle on est ravi de voir les séances réservées à Janet Perlman et à Stacey Steers, deux auteures dont le travail est trop peu mis à l’honneur dans les festivals européens (Le programme annonce d’ailleurs Stacey Steers comme étant « le secret le mieux gardé du cinéma d’animation »), ou Regina Pessoa. La réalisatrice de Kali le petit vampire est également l’auteure de l’affiche du festival en 2015. Toutefois, à voir la liste des films projetés, si les femmes sont à l’honneur, le féminisme n’est pas vraiment mis en avant sinon par l’affirmation de la sexualité et le thème de la maternité. Mais n’est-ce pas un peu réducteur et finalement, de manière un peu provocatrice : existe-t-il un cinéma d’animation réellement féministe et militant ? La question reste ouverte.
L’Espagne sera présente à travers huit programmes. L’animation ibérique est assez peu vue aujourd’hui et c’est l’occasion de rappeler l’importance de Segundo de Chomón qui a eu les honneurs d’une séance spéciale en ciné-concert l’année passée et qui fut l’un des plus géniaux précurseurs du cinéma. L’Espagne a donc la double particularité d’être présente depuis près de 110 ans dans l’animation et d’être, depuis toujours, une des absentes de nombreuses sélections festivalières. L’hommage était donc nécessaire. On verra notamment un focus consacré à Francisco Macián, ou, pour la première fois pour beaucoup de spectateurs, des films réalisés pendant la dictature franquiste. Le pays de la corrida et du flamenco sera également en compétition avec un long métrage horrifique signé Sam : Pos Eso. Le réalisateur, déjà connu pour quelques courts métrages en pâte à modeler comiques et souvent sanglants, ne quitte pas son genre et sa technique de prédilection en proposant une variation parodique autour de L’Exorciste qui cite allègrement Alien, Poltergeist ou Indiana Jones, tout en caricaturant habilement l’Espagne contemporaine à travers ses clichés les plus tenaces.
Du côté des longs métrages, on a hâte de voir le long métrage de Rémi Chayet, Tout en haut du monde, premier long produit par Sacrebleu. La société de Ron Dyens a gagné deux des trois derniers cristaux du meilleur court métrage, reste à savoir s’ils feront aussi bien pour le long. Hors compétition, on notera aussi la présentation de La Petite de la poissonnerie, variation sombre autour de La Petite sirène et dernier film co-produit par la société Les Trois ours. Et alors que le Brésil a remporté les deux dernières éditions du long, cette année, c’est un autre pays sud-américain, la Colombie, qui est à l’honneur avec deux films en et hors compétition. Très présente ces derniers temps dans la prise de vue continue (La caméra d’or et Le prix de la Quinzaine des réalisateurs lui sont revenus en 2015 à Cannes), il n’est guère étonnant de voir la Colombie se lancer sur le marché de l’animation. On saura dans moins d’une semaine si le résultat en vaut la peine. Et s’il faut assister à deux work-in-progress cette année, on choisira Ma vie de courgette de Claude Barras, un film de marionnettes particulièrement émouvant sur un enfant dans un orphelinat coécrit par Céline Sciamma, la réalisatrice de Bande de filles ou de Naissance des pieuvres, et celui du premier long de Michaël Dudok de Wit, The Red turtles, produit par Prima Linea, attendu depuis des années et qui en est à sa dernière ligne droite avant une sortie prévue pour 2016.
Et comme le cinéma (d’animation) est aussi une industrie, signalons que le MIFA (le marché du film) fête cette année ses 30 ans. Joyeux anniversaire !
14 juin 2015