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Festivals

Annecy 2014 J-5

par Nicolas Thys

Après notre précédent tour au monastère, la sélection du jour nous a plutôt fait entrer dans un autre univers. Par rapport à la pause d’hier avec des films essentiellement narratifs et simples, la compétition no 5 fut un bouquet final, entre psychédélisme, folie et guerre.

À croire que le festival a voulu clore sa compétition officielle (hors off-limits) par un vrai feu d’artifice : ça explose de partout, ça part dans tous les sens, ça brûle les yeux, ça disparait comme c’est venu, mais c’est beau et on en redemande. Et finalement, si nul sait où sont les limbes de ces flammes éphémères, on peut tout autant s’interroger sur les lieux mystérieux où s’égare l’esprit des animateurs affairés à leur tâche. Roberto Catani doit avoir La Tête dans les nuages, la Pologne casse des verres, Atsushi Wada est pris dans de curieuses Anomalies, Delphine Hermans se déclare poilophile et on se demande si l’Obvious Child de Stephen Irwin n’est pas le meilleur ami des deux oursons buveurs de sang de licorne d’Alberto Vasquez. À côté de tout ceci, la mélancolie du beau Jour de pluie de Vladimir Leschiov, animé à partir de thé, calme les esprits avant de repartir vers d’autres horizons barrés…

L’autre phénomène étrange du jour — ou plutôt notre inconséquence aggravée — fut cette envie d’aller voir un programme de films de télévision, le deuxième. C’est peut-être l’excellent épisode de Panique au village Spécial Noël en sélection no 4, vu quelques mois auparavant, qui a eu raison de notre méfiance. Toujours est-il qu’il aurait fallu s’abstenir. Après tout, la télévision reste cette boite aux centaines de chaines qu’on allume deux minutes pour en faire le tour et qu’on éteint, car on ne trouve rien à voir. Il faut dire qu’entre la téléréalité, Plus belle la vie, des jeux toujours plus vulgaires et sans le moindre intérêt, elle ne nous gâte pas…

Après un peu joli mais agréable Parfum de la carotte de Rémi Durin et Arnaud Demuynck, on a eu droit à une progression vers l’horreur avec des choses plus nulles les unes que les autres : Hubert & Takako puis Les as de la jungle avant ce Burka Avenger venu du Pakistan et involontairement drôle d’un bout à l’autre. L’arrivée de cette super-héroïne cachée dans son voile intégral, qui défend l’éducation des filles, avait fait parler d’elle et l’idée originale part d’un bon sentiment même si elle reste saugrenue. Le résultat est toutefois d’une laideur rarement atteinte et d’un kitsch total, comme si les seuls ordinateurs dont l’équipe disposait dataient de 1986 et qu’ils apprenaient l’animation à mesure que la série avançait. Bref, on n’imaginait pas pouvoir tomber plus bas et on avait hâte de refaire marcher nos rares neurones encore en vie avec les deux derniers titres. C’était sans compter le frenchy Copy Cut de Pierre Volto avec une animation qui ne doit guère dépasser les quatre images par seconde, un graphisme à vomir et un scénario dépourvu de tout intérêt. Après avoir subi ça, on s’est même surpris à penser que finalement la télé pakistanaise n’était pas si mal lotie… Heureusement que les trois minutes de Prévert sont arrivées, mais il est difficile de parler d’En sortant de l’école qui nous a paru sublime, on l’a peut-être simplement relativisé par rapport à ce qui était passé avant. On retentera l’expérience (mais juste pour celui-là).

Quand on a connu le déferlement des séries japonaises ou françaises que tous critiquaient dans les années 1980-90, la seule réaction possible était de verser une larme et d’observer une minute de silence. Ces séries participaient, selon parents et éducateurs, à l’abrutissement des masses et à l’endormissement généralisé des enfants, mais quand on voit à quoi en sont réduits les moins de six ans, on est encore plus heureux de ce qu’on a eu. Après tout, même Roland Topor était autorisé à écrire pour le petit écran… À force de regarder toujours plus débile et d’y revenir semaine après semaine, on finit par avoir la télévision qu’on mérite !

Par bonheur, on a pu s’extraire de ce cimetière et courir à l’hôtel de ville. Contrairement à l’année précédente, les premiers prix viennent d’être remis à la mairie d’Annecy, non pas les principaux, mais les spéciaux, histoire d’avoir davantage de temps pour les prix officiels ce samedi soir et une possible projection de ceux-ci. L’ONF en a déjà récolté deux, nouvelle preuve de la qualité de la production canadienne, avec le prix Jeune public remis au très amusant Histoire de bus de Tali, qui raconte un épisode quelque peu romancé de la propre vie de la cinéaste. Le second est le prix FIPRESCI décerné par la critique internationale à Nicola Lemay et Janice Nadeau pour Nul poisson où aller dont on avait parlé dans un précédent billet. Parmi les autres, on notera également qu’ont été octroyés le prix SACEM de la meilleure musique originale à Hasta Santiago de Mauro Carraro, le prix Canal + à Mirai Mizue pour l’expérimental Wonder, une mise bout à bout de quelques secondes d’animation réalisées jour après jour pendant un an avec un résultat magnifique, et le prix Festivals Connexion à Through the Hawthorn de Anna Benner, Pia Borg et Gemma Burditt, l’une des rares histoires où la maladie mentale est bien amenée tant sur le plan scénaristique que formel, avec un écran en trois parties et des techniques variées pour un trio de réalisatrices qu’on aimerait vite revoir à l’œuvre.

Mais vous en conviendrez, remettre des prix c’est chouette et nous sommes jaloux du festival. C’est pourquoi nous avons nous aussi décidé de remettre quelques prix très spéciaux avec récompenses à la clé à des films en sélection.

Prix Kanał du film historique le plus déprimant (parce qu’eux aussi, ils aimaient la vie) : Padre de Santiago Bou Grosso et Brut de Svetlana Filippova ex-æquo. Récompense : deux moitiés d’un poster dédicacé d’Andrzej Wajda (oui, on va chercher nos références assez loin).

Prix « ça s’aime » pour le film que oui il est possible de l’aimer même si ça semble impossible à beaucoup (et en plus la musique est belle) : Hipopotamy de Piotr Dumała. Récompense : mes applaudissements.

Prix du film éducatif pour le jeune public, car les enfants ont besoin d’en apprendre sur la vie et les sciences à cet âge là : Don’t Hug Me I’m Scared 2 – Time de Becky Sloan et Joe Pelling, pour sa leçon de physique. Récompense : le droit en faire encore au moins 26,87 autres épisodes.

Prix du meilleur festival après Annecy avec lequel j’aimerais être en connexion : Les Sommets du cinéma d’animation à Montréal et Québec. Récompense : l’obligation à son responsable de me laisser recommencer à rédiger ces mêmes billets l’année prochaine et la possibilité de m’inviter à son festival pour en écrire d’autres. (Comment ça, ce n’est pas une récompense ?!)

Plus trois autres prix très particuliers qu’Annecy oublie de remettre chaque année et c’est mal.

Grand Prix du Lapin, car on l’appelle tellement avant les séances qu’on lui doit bien ça : The Obvious Child de Stephen Irwin. Récompense : un avion en papier.

Prix du réalisateur gentil car j’ai beau avoir dit tout le mal que je pensais de son film, il ne m’a pas cassé la figure : Pablo Angeles pour Pickman’s Model. Récompense : l’interdiction de toucher à un ordinateur pour son prochain court métrage.

Prix de la meilleure recette animée (qu’on aurait bien décerné au livre de Steven Woloshen, Recipes for Reconstruction: The Cookbook for the Frugal Filmmaker, mais malheureusement on ne sélectionne pas encore les ouvrages au festival) : A Recipe for Gruel de Sharon Smith. Récompense : la photocopie d’une recette de gruau du Livre de cuisine des Moomins, car il apporte la preuve qu’on peut en faire un très bon sans bible.

 

 

PHOTO : The Obvious Child de Stephen Irwin


14 juin 2014