Annecy 2014 J-6
par Nicolas Thys
Dans une interview qu’il nous a accordée, le réalisateur du très beau Jours de pluie coproduit par l’ONF, Vladimir Leschiov, expliquait que si l’issue de ses films était le plus souvent ouverte et que même les morts et disparitions n’engendraient pas automatiquement un arrêt brutal de la narration, c’est qu’il ne croyait pas à ce qui a une fin. Le mouvement du monde est perpétuel et continue toujours d’une manière ou d’une autre. Il en va de même avec les processus créatifs en renouvellement constant et avec les festivals, micro-univers en soi, dont les programmes sont si vastes qu’on a l’impression que, même terminés, il restera toujours quelque chose à voir de l’édition précédente.
Le palmarès 2014 du festival d’Annecy a beau avoir été révélé avant-hier, une reprise des films primés avait encore lieu ce dimanche et les mots de conclusion de son délégué général, Marcel Jean, étaient déjà tournés vers 2015. La suite s’annonce alléchante avec un retour dans la mythique salle de Bonlieu totalement refaite, des programmes autour de la place des femmes dans le cinéma d’animation, un regard sur l’Espagne ou bien la célébration des 30 ans du MIFA. Parmi les principaux prix :
— Cristal du court métrage : Man on the Chair de Dahee Jong (France – Corée du sud)
— Prix du film off-limits : Corps étrangers de Nicolas Brault (Québec)
— Cristal du long métrage : Le garçon et le monde d’Alê Abreu (Brésil)
— Cristal du film de fin d’études : The Bigger Picture de Daisy Jacobs (Grande-Bretagne)
— Cristal pour un film de commande : Nepia ‘Tissue animals’ de Fuyu Arai (Japon)
— Cristal pour une production TV : En sortant de l’école : Tant de forêts de Burcu Sankur et Geoffrey Godet (France).
À noter également la mention spéciale du court métrage pour la Québécoise Tali et son Histoires de bus déjà primée la veille par le jury Junior.
Comme c’est le cas de tous les bilans de festivals, certains ne manqueront pas d’exprimer leur désaccord et d’être scandalisés, car leurs favoris n’auront rien obtenu. Vu l’inutilité de la chose, on évitera, les prix récompensant d’abord les gouts de trois jurés, parfois différents et incapables de se mettre d’accord, chacun ayant leur film préféré. Le temps seul aura raison et nous dira si on se souviendra encore des oeuvres primées d’ici quelques années. Parmi la très belle sélection de 2014, d’autres films ont en tout cas bien plus marqué les esprits comme le Hipopotamy de Piotr Dumała ou La chair de ma chère de Calvin Antoine Blandin.
Dans l’ensemble, nous sommes ravis pour le long métrage, Le garçon et le monde, d’une remarquable facture tant graphique que scénaristique. Après le Rio 2096 de Luiz Bolognesi en 2013, le film vient confirmer la bonne santé de l’animation brésilienne et son important développement depuis quelques années. On félicitera également Nicolas Brault, dont Corps étrangers, réalisé seul à partir d’imagerie médicale, nous entraine dans les profondeurs obscures d’un monde étonnant et sur lequel on ne cesse de s’interroger. La poésie du vivant ne concerne pas que les corps en eux-mêmes, mais aussi les images de ces derniers. On reconnait à peine les organismes comme on ne sait pas tout de suite qu’il s’agit de radios ou d’IRM. La morbidité de ces images fixes au moment de leur création appelait leur mouvement et leur résurrection par le cinéma qui découvre avec elles la possibilité d’un nouveau langage et d’un nouveau regard sur l’inconnu et l’infini.
Ce dernier film figurait dans la sélection off-limits dont on aimerait simplement dire quelques mots. En effet, malgré la bonne qualité de cette programmation, on se pose des questions quant à sa signification réelle. En 2013, sous la forme d’une rétrospective, elle interrogeait les frontières des différents cinémas. De nombreux films engendraient des discussions sur le fait de savoir si on était ou non dans l’animation et ce qu’était finalement ce « cinéma d’animation », tant ils travaillaient la prise de vues, les formes et matières ou le mouvement et le temps d’une manière étonnante. Cette année, la dimension expérimentale semble être le dénominateur commun de ces oeuvres sans qu’on retrouve toujours ces idées de limite et de frontière. Par exemple, pourquoi sélectionner les films de Theodore Ushev, 3e page après le soleil, ou de Hugo Ramirez et Olivier Patté, Invasion, dans le off-limits et mettre les 1000 plateaus de Steven Woloshen ou le primé Patch de Gerd Gockell en sélection officielle ? Si certaines limites ne sont peut-être pas assez définies (et comment le faire ?), ce sont possiblement celles qui entourent la présence ou non de certains films dans cette sixième sélection.
Parmi les cinq programmes de courts, il est essentiel de conserver des films abstraits, car le cinéma n’est pas qu’un procédé narratif sous forme d’histoires. Mais il pourrait être important de proposer un panel plus large de films dans off-limits ou d’accompagner davantage ces films en réfléchissant davantage sur leur place dans une sélection plus que dans l’autre.
Ce billet est donc censé être le dernier, mais puisque la fin n’existe pas :
PHOTO : Corps étrangers, de Nicolas Brault
16 juin 2014