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Festivals

Annecy 2015 jour 3 : Le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain

par Nicolas Thys

Autant hier, notre journée fut courte, autant celle-ci fut longue. Après avoir débuté par le long métrage de Rémi Chayet, Tout en haut du monde, nous avons poursuivi notre chemin avec La Montagne magique d’Anca Damian, son nouveau film en séance événement, avant de terminer par la sélection de courts métrages. Et le premier constat qu’on peut faire est la grande tenue générale de tout cela.

     Tout en haut du monde est le premier long produit par Sacrebleu, un habitué des récompenses en court métrage, et le premier film de Rémi Chayet, qui fut notamment assistant de Tomm Moore (Song of the Sea). Le défi était de taille et il est agréablement relevé, avec une sélection en compétition méritée. Le film est clairement à destination d’un public d’enfants et d’ados, mais il est économiquement ambitieux, avec un petit budget et un défi de taille : que toute l’animation soit faite en France. L’histoire est intéressante, même si on est quelque peu sceptique quant à la fin : une adolescente russe issue de la bourgeoisie veut partir à la recherche de son grand-père, explorateur, qui n’est jamais revenu d’une expédition au pôle Nord. Certains choix esthétiques ont dû être fait en conséquence, comme privilégier par exemple une animation 2D par aplats de couleurs au lieu de focaliser sur les lignes et les traits, ou partir vers de la 3D lambda afin de composer personnages et décors. Et cela fonctionne plutôt bien, malgré certaines légères imperfections techniques, avec l’impression d’une profonde unité entre les protagonistes et les décors, ce qui est essentiel notamment dans la seconde partie du film. Le seul élément 3D, le bateau, est lui aussi réussi et parvient globalement à se fondre dans l’ensemble.

Pour Anca Damian, ce n’était pas le premier voyage à Annecy. Elle était venue en compétition et avait remporté le grand prix du long en 2012 pour Le Voyage de Monsieur Crulic. Avec La Montagne magique, dont le titre n’est pas sans rappeler l’ouvrage de Thomas Mann, elle revient et propose une œuvre saisissante, aux nombreuses facettes, pour raconter l’histoire vraie d’un homme méconnu aux mille et une vies. Adam Jacek Winkler était peintre en bâtiment, alpiniste, artiste et engagé avec une réelle volonté de changer le monde. Hors du commun autant que méconnu, cet anarchiste polonais s’est battu toute sa vie contre les totalitarismes bolchéviques : en Pologne après la guerre, en République Tchèque pendant le Printemps de Prague, en France en mai 68 alors que le communisme avait le vent en poupe, et jusqu’en Afghanistan où il a participé avec le commandant Massoud à la rébellion contre l’invasion du pays par la Russie. Le film, s’il pose la question des frontières entre réel et imaginaire, tient bien plus du biopic que du documentaire. Il nous montre cet homme à travers le regard nostalgique, plein de souvenirs, d’une petite fille, et ce voyage intérieur dans la vie d’un être et le cœur d’un autre ne peut qu’être constitué d’images inventées, créées, tissées et entremêlées. Le grand intérêt de cette Montagne magique réside donc aussi dans sa réalisation faite de bric et de broc, entre l’artisanat et le bricolage. S’il est une œuvre maniériste, c’est bien celle-ci : elle nous rappelle la vie de cet homme, situé hors du temps, chez qui tout se brise et se reconstruit, à travers un mélange de techniques et de formes miraculeusement hétéroclites autant qu’homogènes.

On quitte maintenant les longs pour arriver aux courts, mais avant la compétition no 3, plus joyeuse et musicale qu’hier, on fera un détour par Isand (The Master), film de l’Estonien Riho Unt dont nous n’avions pas pu parler dans notre dernier billet faute d’espace. Et ça tombe bien, il s’agit d’un des courts les plus longs présentés jusqu’ici, 18 minutes d’une force et d’une violence étonnante. Deux marionnettes particulièrement réalistes, un chien et un singe, sont enfermées dans une maison dont le propriétaire ne revient pas plusieurs jours durant. Le singe s’évade de sa cage et prend le contrôle de l’habitat pendant que les souvenirs du chien s’estompent. À mesure que le singe imite le maître, portant ses vêtements et dormant dans son lit, le chien se met à confondre le singe avec l’homme qui le soignait, s’avilissant peu à peu et devenant le sous-fifre de l’autre. C’est une œuvre malade – et les figurines jouent bien leur rôle, car la frontière entre l’animal et sa représentation est mince – et désespérée sur la condition humaine, sa bêtise et sa cruauté innée.

Le programme trois était heureusement moins grave et moins monstrueux dans l’ensemble. Tout d’abord, on a été heureux de découvrir le nouveau film de Theodore Ushev, Sonámbulo, inspiré d’un poème de Garcia Lorca (qu’il ne se sent, heureusement, pas obligé de réciter en voix off…). Ushev livre une œuvre abstraite aux figures colorées, arrondies et volatiles, qui fait penser à du Miro en mouvement et qu’il accompagne d’une musique entraînante signée Kottarashky. C’est le genre de film simple et beau qui rend heureux. Belle journée pour le cinéaste puisqu’il est également, signalons-le, le directeur artistique du film d’Anca Damian ! Dans les œuvres musicales, Mauro Carraro nous offrait Aubade, un voyage intérieur sur le lac Léman où un violoncelliste exécute un concert sur l’eau alors que le soleil se lève. Après l’ultra narratif Hasta Santiago, il arrive vers une œuvre plus intime et chaude qui nous bercera encore longtemps. On passera sur Splintertime : c’est du Rosto, tout est dit.

Mais si nous retenons un film encore, il s’agit de World of Tomorrow, de Don Hertzfeldt, le deuxième plus long des courts avec ses 16 minutes 30. Ceux qui ont vu ses précédents opus ne seront pas dépaysés par son propos, qui aborde le rapport à la mémoire, qui contient la mélancolie de It’s such a beautiful day et l’humour dérisoire teinté d’ironie de ses autres œuvres. Il s’agit d’une petite fille visitée par son moi cloné dans un avenir lointain alors que le monde menace de s’écrouler. Et pendant que le clone abreuve l’enfant de propos philosophico-scientifiques à côté de la plaque, la petite s’amuse avec le monde de son futur. Côté animation, ce sont toujours des personnages en silhouette, mais Hertzfeldt quitte la technique traditionnelle sur banc-titre pour amener quelque chose de nouveau avec l’apport d’effets visuels et d’une animation 2D à l’ordinateur. Mais que ceux qui se poseraient des questions là-dessus ne s’inquiètent pas, c’est du Don Hertzfeldt et l’ordinateur sert d’abord à montrer un futur en perdition qui ne ressemble plus à grand-chose sinon à un amoncellement de couleurs flashies et de traits inutiles. L’ensemble est toujours aussi épuré avec des inventions narratives et formelles nombreuses : que peut-on vouloir de plus ?

Nous avons également beaucoup aimé Rhizome de Boris Labbé, mais on en parlera plutôt demain, en parallèle avec le Off-limits.


18 juin 2015