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Festivals

Berlinale 2020 – Blogue n°2

par Aude Renaud-Lorrain

Le festival de Berlin bat son plein avec près de 400 films programmés dans les 14 sections confondues. 18 films en compétition venant de 17 pays. Je tente de m’orienter dans cette programmation qui pourrait m’engloutir et d’utiliser mes repères pour faire surface. Tranquillement, j’y arrive. Pour ne pas capituler, il faut se trouver une règle, par exemple se limiter à un périmètre géographique ou à certaines sélections. Sinon, le calcul des déplacements et des horaires devient un réel casse-tête, que l’on prend plus de temps à résoudre que le visionnage des films. Sur les conseils de collègues, je me suis préparée : application de vélos en libre-service pour faciliter les déplacements, collations à portée de main pour survivre aux projections consécutives, et identification sur le plan des comptoirs à café et des accès au réseau sans fil. C’est alors que j’ai plongé dans la « Competition ».

Philippe Garrel nous présente cette année Le sel des larmes, co-scénarisé avec Jean-Claude Carrière et Arlette Langmann. Le film ouvre sur Luc, sortant de la gare ; la longue focale qui l’observe et le noir et blanc évoquent le souvenir nostalgique d’une arrivée solitaire. Luc fera verser plus de larmes qu’il n’en versera, non par méchanceté, mais par égoïsme, un égoïsme nécessaire, pour conserver sa liberté. Ses relations ne sont pas à la hauteur de ses ambitions, mais ambition et amour sont-ils compatibles ? L’une est désir de dominer, l’autre de partager. Généralement l’amour est quête, mais celle-ci n’est-elle pas une façon d’ennoblir l’ambition, sans altérer son essence ? Les ambitions du fils sont aussi décuplées par celles du père, qui les a transférées à la génération suivante plutôt que de les accomplir. Touchante par sa véracité, la relation entre père et fils est certainement la plus émouvante. Luc admet lui-même que ses premières relations amoureuses n’ont jamais dépassé en importance l’amitié qu’il accordait à son père et le film montre admirablement bien ce lien qui les unit. Philippe Garrel nous rappelle que ni couleur ni orchestre ne sont nécessaires pour parler d’amour, de beauté et de peine. C’est une histoire banale, comme le tourbillon de la vie peut l’être, racontée par des murmures qui naissent et s’évanouissent, par des occasions saisies ou manquées, mais surtout par un réalisateur qui ne force pas les choses et qui produit une fiction aussi réelle qu’il est possible.

First cow de Kelly Reichardt est un film d’amitié entre deux pionniers qui décident d’unir leurs forces ne pas se laisser écraser par d’autres. Le film nous fait entrer dans le western, par la porte de derrière, introduisant le mythe, et cette nature omniprésente qui le caractérise, non par un panorama sur les plaines désertiques de Monument Valley, mais par un gros plan sur une main cueillant des champignons dans une forêt dense. Ces hommes ne sont pas des cavaliers, ils marchent, ils sont sales, ils vivent dans ce monde sans loi où le quotidien est à cheval entre la survie et la vie. Bien que l’histoire soit édulcorée par un humour qui n’est pas désagréable, on se laisse toucher par cette note plus commerciale dans la cinématographie de Kelly Reichardt. Revenir dans le temps est toujours l’occasion de réfléchir au présent, car il est encore vrai, aujourd’hui, que « pour réussir on ait besoin de capital, ou d’un miracle… »

L’exil et l’exclusion sont aussi des moteurs narratifs dans Volevo nascondermi de Giorgio Diritti. Racontant l’abandon, la solitude, la cruauté et la curiosité des humains envers la différence, le film raconte l’histoire du peintre d’art naïf Antonio Ligabue. Un homme qui, ne pouvant ni rugir comme un lion ni se cacher entre les craques du plancher comme un insecte, a trouvé dans l’art son salut. Atteint de troubles psychiatriques, il s’épanouit en créant et donnant vie à des animaux par sa peinture. Dans une Italie pauvre du début du 20e siècle, cette épopée tragique raconte une vie remplie d’embûches, alors que les démons de l’enfance ne le quittent jamais vraiment. Exemple de ce que la beauté et l’art peuvent naître de la douleur et de la misère.

Toujours portant le thème de l’exclusion, Effacer l’historique de Benoit Delépine et Gustave Kervern est un réel plaisir. Le film aborde par l’humour nos maladresses face à la technologie, ainsi que l’oppression que cette dernière occasionne, comme chez les trois protagonistes mésadaptés, que l’on suit et qui montrent que l’exclusion est toujours aussi violente, sinon plus, au temps de la virtualité. L’une est accro aux séries télé, l’autre se laisse emberlificoter dans des histoires embarrassantes de sextape et le troisième entretient une relation amoureuse longue distance. La chanson « Devil town » de Daniel Johnston vient parfaitement coller à l’atmosphère de cette banlieue morne qui fait office de lieu de vie pour ces protagonistes en marge. Bien que pathétiques, ils sont filmés avec empathie – heureusement, car on s’y identifie tous un peu. Par solidarité envers un des personnages, j’ai d’ailleurs failli, en sortant de la projection, jeter mon téléphone portable dans l’étang bordant le Berlinale Palast, mais je me suis rappelée que je ne pourrais plus louer de vélo libre-service, ce qui m’a vite dissuadée.


26 février 2020