FNC 2008 – Blogue 6: Coups de coeur, le retour de l’utopie?
par Gilles Marsolais
Après s’être tapé des films sur la torture, la mafia et la prostitution, excellents mais de nature à nous faire désespérer de l’humanité, on ne peut que s’agripper aux films qui nous apparaissent soudain comme autant de bouffées d’air frais. En voici trois qui m’ont accroché.
Ainsi, rarement un film documentaire saura susciter une telle qualité d’émotion chez le spectateur. L’un des moments forts de ce 37e FNC, Man on Wire (L’homme sur le fil) de James Marsh transmet avec grâce la dimension poétique du geste fou d’un Pierrot lunaire, Philippe Petit, qui, par des ruses de Sioux, a réussi à tendre un fil de fer entre les deux tours jumelles du World Trade Center, en 1974, et à s’y balader, y effectuant de nombreux va-et-vient, pour la simple beauté du geste !
Fonctionnant sur le mode du suspense, le récit, qui reconstitue les diverses péripéties de cette folle équipée, de la préparation à la mise au point finale de cet exploit insensé, nous tient en haleine – et c’est là sa force – en même temps qu’il nous dévoile progressivement l’implication humaine, voire l’investissement émotif des complices du funambule.
En mêlant avec une habileté diabolique documents d’archives, photos et extraits de films, scènes de reconstitution (en noir et blanc) et témoignages actuels de ces anciens comparses du fil-de-fériste, le film communique aussi bien le vertige physique (par de brèves vues en plongée terrifiantes sur la fourmilière humaine s’agitant 500 m plus bas) que le vertige de l’âme que la réalisation de ce rêve fou, au prix de quelques amitiés brisées à tout jamais, aura provoqué chez ceux qui s’y sont frottés, tels des papillons à la lumière.
Les tours jumelles ne sont plus et les temps ont changé : du coup, ce film magnifique qui mérite à coup sûr que l’on attire à nouveau l’attention sur lui, puisqu’il sortira en salle la semaine prochaine, dès le lundi 20 octobre, nous permet de mesurer la part d’humanité que notre époque aura largué en se délestant (provisoirement ?) de l’utopie.
Autre film sur l’utopie, A View From Below s’intéresse au cas de Karl Stanley. Enfant têtu, au point d’avoir dû effectuer un bref séjour en clinique psychiatrique, celui-ci a réussi, à 15 ans (!), à concevoir et à construire un sous-marin de poche. Le dernier modèle, perfectionné, de son invention lui permet aujourd’hui de plonger à quelque 2 000 pieds de profondeur. Basé au Honduras, ce jeune adulte excentrique mais responsable, qui a réalisé son rêve fou à force de créativité et de ténacité, dont les réalisations échappent aux règles établies, gagne sa vie en faisant partager aux touristes (pas plus de deux à la fois !) sa passion pour les profondeurs sous-marines, à bord de son « yellow submarine ». Ce documentaire de Matt O’Connor et Paul DiNatale est d’une facture peu inspirée, mais on se met à rêver du jour où il sera possible de louer l’un de ces sous-marins de poche, comme on le fait pour un kayak ou un katamaran, pour explorer jusque dans les profondeurs abyssales ce 70% de la planète qui nous demeure inconnu. Un rêve qui ne serait pas réservé qu’aux scientifiques patentés ou aux multimillionnaires.
À sa façon, le Belge Bouli Lanners réactualise lui aussi ce mythe de l’utopie, qui mise sur la beauté du geste gratuit pour espérer changer le monde. Film attachant et inclassable, qui est de la même famille que Western de Manuel Poirier, Eldorado est un road-movie au sens propre du terme, physique et psychologique, dans lequel la victime d’un cambriolage à domicile en arrive à se lier d’amitié avec le jeune voleur paumé qu’il prend sous son aile, ne serait-ce que pour tenter de lui faire faire un petit bout de chemin vers la lumière. Cette rencontre improbable sous le signe de l’anarchie réactualise l’importance de la solidarité dans un monde qui semble avoir largué le bébé avec l’eau du bain. Vite, un sous-marin pour le récupérer !
12 novembre 2013