Festivals

Cannes 2013. Jour 5.

par Philippe Gajan

Deux cinéastes, deux jeunes femmes, deux héritières pour un cinéma social. The Selfish Giant, de Clio Barnard et Grand Central de Rebecca Zlotowski

The Selfish Giant de Clio Barnard
Loach a son héritière. Attention le grand Loach (non pas que le monsieur se soit perdu, mais Thatcher n’est plus là…), celui des « loosers » magnifiques, ceux qui ne s’en sortiront pas, englués dans le déterminisme de leur classe social et pourtant qui, à leur façon, débordent de vie, exultent de rage et se brûlent les ailes. Car ils sont incroyables les gamins de The Selfish Giant, de hargne, de combativité. Né pour reproduire la misère, habité par des cauchemars plus que par des rêves, le petit Arbor, coincé entre une mère aimante mais démissionnaire et un grand frère drogué, vit d’expédients et de petits larcins. Il veut de l’argent, alors il vole des bobines de câbles métalliques pour les revendre au ferrailleur du coin, à qui il revole une partie, qui à son tour le vole… Engrenage, fatalité… Deux choses évitent au film de se vautrer dans l’imitation et le pathos: son rythme, rapide, presque comme un film de genre et au final, une espèce de solidarité, une vague conscience qui habitent ces damnés de la terre. Peut-être pas le film le plus original, mais du cinéma social à la bonne place.

Grand central de Rebecca Zlotowski
Autres sacrifiés, autre héritière. Rebecca Zlotowski, quand à elle, puise sa matière dans le réalisme poétique français de l’après-guerre. Milieu ouvrier, amants maudits… et poésie du réel. L’originalité vient tout d’abord du cadre : le nucléaire. Et la cinéaste filme ce milieu entre documentaire et science-fiction. Ici, l’ennemi est invisible et partout. Cet ennemi, on le nomme la dose et, un jour ou l’autre, il vous aura. Alors pour ces condamnés en sursis, pour tromper l’attente, il y a la tribu, qui se retrouve pour chanter l’amour autour d’une table à pique-nique au milieu des roulottes exiguës. Et puis, il y a la camaraderie, le bar du coin et les aventures avec ou sans lendemain. Celle que vont vivre nos deux amants (Tahar Rahim, en transfuge de chez Audiard et Léa Seydoux, déjà dans le premier film de Zlotowski). Et là le film bascule, leur escapade est filmée comme du Renoir, c’est beau et doux, en clair-obscur, dans la campagne au bord d’une rivière. Et là aussi, comme chez Barnard, conscience et humanité ne sont pas complètement éteinte. Au pays de l’atome capitaliste, une petite flamme subsiste, si petite…

Ces deux films, l’un à la Quinzaine, l’autre au Certain regard, les deux réalisés par de jeunes cinéastes femmes, font curieusement du bien. Parce que le cinéma social n’est pas mort, parce que qu’au delà du réalisme ambiant, il y a moyen d’aller voir au-delà, un tout petit peu sans pour autant se mettre des œillères. Des films qui valent plus que des constats bruts et simplificateurs, qui disent non seulement la misère mais aussi la vie. Parce que qui dit héritage ne dit pas imitation. La société change, le cinéma social aussi.


24 juin 2013