Cannes 2013. Jour 7.
par Philippe Gajan
Sarah préfère la course de Chloé Robichaud, un film limpide sur un monde flou
Comparer Xavier Dolan et Chloé Robichaud sur leur âge pour d’ores et déj annoncer une nouvelle génération au Québec ne tient guère la route tant leurs cinémas s’opposent peu près sur tout. la furia de l’un répond le calme de l’autre. l’esthétique réaliste revendiqu de l’une répond les élans lyriques de l’autre. Pourtant, s’il y a quelque chose qui les rassemble, c’est le fait d’avoir fait des films dont le thème principal est la quête d’identit, plus précisément l’apprentissage et la construction de l’identit. Dans le cas de Sarah préfère la course, cette construction s’apparente la métaphore de l’oisillon qui quitte le nid pour la première fois. Car Sarah n’existe pas ou plutôt n’est pas encore définie. Ni par rapport aux catégories qui lui préexiste, politiquement (souverainiste ou fédéraliste), sexuellement (le spectateur sait mais pas elle), socialement… Elle ne sait tout simplement pas, elle ne semble rien savoir sinon qu’elle aime courir. Et la force du film est justement de ne pas tenter de forcer cette connaissance et de se servir du personnage de Sarah comme d’un révélateur de sociét ou de génération. Sarah n’est pas un archétype, elle tente d’être, dans un monde flou, pas plus défini qu’elle finalement. La proposition est plus audacieuse qu’elle n’y paraît. Cadrée souvent en plan rapproch, peu près aussi énigmatique (mais beaucoup moins sentencieuse) qu’un de ces messages de biscuit chinois, la jeune actrice Sophie Desmarais crève l’écran, ne dit rien et donc tout et semble être le véritable sujet du film. Son visage est restitu de façon très pur, souvent superpos un arrière-plan flou. Flou comme le monde qu’elle n’imaginait pas comme cela. Elle s’était imaginée trouver un travail, fonder une famille… comme tout le monde. Mais voil, Sarah n’est pas comme tout le monde. Pas exactement différente non plus, elle n’est pas l’étrangère, elle n’est pas rebelle, elle cherche être Sarah. Elle préfère la course tout simplement. Et la cinéaste l’accompagne avec douceur, avec ce calme d’o affleure peine parfois une pointe d’ironie.
Les salauds de Claire Denis, un film transparent vaguement sordide (ou peut-être l’inverse)
Difficile de dire même quelques mots sur le nouveau film de la grande Claire Denis… Ça commence sur un double registre, entre film noir et téléfilm la française avec Vincent Lindon et Chiara Mastroianni. Et cela n’évolue guère… Peut-être un peu après tout, ce n’est pas un film noir mais plus un thriller alambiqu un petit peu sordide. On ne comprend pas très bien les motivations des personnages sinon qu’apparemment au centre de l’intrigue réside une sorte de malédiction familiale (une famille de la grande bourgeoisie, cela va de soi), malédiction qui l’instar d’une maladie se propage, s’attrape, contamine. Bref, ce sont sans doute eux les salauds du titre. Et si on ne comprend pas, c’est qu’on s’en fout un peu. Peut-être que Claire Denis s’en foutait aussi. En tout cas, c’est l’impression que cela donne. Évidemment, quand une cinéaste de ce calibre, celle de L’intrus, de Beau Travail, de Trouble Every Day, nous fait ça, on est un peu frustré. À moins qu’on n’ait rien compris, tout simplement, c’est possible… moins, qu’il ne manque une dimension, un ingrédient pour aller vers autre chose.
23 juin 2013