Cannes 2013. Jour 8.
par Jacques Kermabon
Et survint Adèle
Et puis arrive le film qui écrase quasiment le souvenir de tous ceux qui l’ont précédé. On craint tout autant de l’ensevelir sous les compliments que de ne pas trouver les mots.
Il y a d’abord un visage, celui d’Adèle Exarchopoulos, un paysage d’émotions transparentes, visibles, mais où ne perce jamais ce qui s’apparenterait à du jeu, à une performance. Abdellatif Kechiche a d’ailleurs opté massivement pour le gros plan y compris pour les scènes de foule, lesquelles, étrangement n’en ont que plus de force. Le gros plan y est à la fois un sismographe des sentiments et une présence sensuelle. La vie d’Adèle chapitre 1 & 2 pourrait se résumer à cela, une histoire d’amour et de sexe vécue entre une lycéenne à qui se révèle sa préférence pour les femmes et une étudiante aux Beaux-Arts. Sauf qu’il n’y a pas vraiment d’histoire. Kechiche a gommé tout ce qui pourrait s’apparenter à un ressort dramatique ; ni mort brutale, ni maladie fatale, ni métier étrange, ni suspens. Pétrie dans la pâte du temps, la chair du monde, du quotidien et des corps, c ‘est simplement la vie qui s’écoule, les rencontres, les regards, les incertitudes, les baisers, les repas de famille, les fêtes entre copain, le frémissement des jalousies, la brûlure du désir, les trahisons, les petites et les grandes hontes, les regrets.
On peut concevoir ainsi l’art du cinéma et se confronter par là à des motifs qui touchent à la représentation. Comment filmer deux corps de femmes pendant l’amour? Comment représenter la jouissance? Ce n’est pas pour rien que l’étudiante, interprétée par Léa Seydoux, est aux Beaux-Arts. Elle fréquente des amis artistes ou galeristes dont les conversations glissent sur ces questions. Et Kechiche y répond à sa façon, cinématographiquement, frontalement, filmant longuement les étreintes, la variété des postures, la montée du plaisir.
Qu’Abdellatif Kechiche reparte de Cannes avec un prix ou bredouille ne changera rien à l’affaire. La vie d’Adèle est une œuvre bouleversante et le restera.
23 juin 2013