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Festivals

Cannes 2013. Jour 9.

par Jacques Kermabon

Les jeunes pousses du cinéma français

Avant le très attendu Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières, à trois jours de la fin du festival, on commence à pouvoir évaluer les effets d’une présence française annoncée d’emblée comme conséquente dans la sélection officielle. Après, entre autres, le lumineux et ténébreux Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie, salué à juste titre par Philippe Gajan, et Grand central, de Rebecca Zlotowski, dont le même Gajan soulignait la parenté avec le réalisme poétique de l’après-guerre – ce qui ne le rajeunit pas –, Un château en Italie (Compétition) et Les Salauds (Un certain regard) le cinéma français confirme la variété de ses talents.

Dans le premier, Valeria Bruni Tedeschi continue à fictionner son autobiographie familiale – mais point de Carla à l’horizon – avec la même tendresse et les mêmes pulsions déjantées, tandis que Claire Denis confirme son élégance et sa maîtrise en dilatant une intrigue assez ténue. Marco (Vincent Lindon) est entraîné par sa sœur dans une histoire de vengeance après la suicide de son beau-frère suite à des sévices sexuels comprend-on exercés à l’encontre de leur fille par un homme riche. Le reproche, que, à un moment, le frère fait à sa sœur, de lui cacher des choses, de ne pas lui avoir tout dit, on pourrait l’adresser à la réalisatrice. Différer la révélation de pans clés de cette affaire sordide et laisser en off d’autres moments décisifs ne relève-t-il pas d’une façon assez artificielle d’entretenir du mystère?

À côté de ces cinéma déjà installés, on peut préférer se tourner vers les jeunes pousses du cinéma français qui éclosent dans les sections dites « parallèles ». Une nouvelle cartographie y émerge, en rien homogène, encore bien fragile, mais particulièrement vivante. Pour aller vite, on en dessinera les contours à travers trois personnalités, un producteur, un acteur et un réalisateur.

Ayant mené à bien les productions des courts au long de Sophie Letourneur, cette petite fille spirituelle de Jacques Rozier, Emmanuel Chaumet a poursuivi avec d’autres cette manière de produire à tout prix et à moindre coût (quand les aides traditionnelles ne suivent pas). Justine Triet (Acid) a ainsi précipité des déchirements familiaux au cœur de la foule réunie le jour de l’élection de François Hollande. La bataille de Solférino doit s’entendre comme double, privée et publique, les scène de ménage borderline interférant avec le combat politique, d’autant que la mère qui se débat avec le père de ses filles, journaliste sur une télévision, doit rendre compte des événements en direct sur l’antenne. Le mélange des matières et des registres se révèle détonnant et particulièrement vivifiant.

La fille du 14 juillet (Quinzaine des réalisateurs) confirme l’éclectisme des productions de Chaumet. Comme Letourneur et Triet, Antonin Peretjatko vient du court métrage et, dans La fille du 14 juillet, poursuit son exploration d’un réalisme cocasse et coloré aux antipodes du naturalisme, entre burlesque échevelé, esprit cartoon et éclats impromptus qui font songer à Godard. Des jeunes d’aujourd’hui qui ne trouvent pas de travail décident de partir en vacances vers le sud. Truffé de trouvailles absurdes, loufoques, de bifurcation inattendue, de coq-à-l’âne, La fille du 14 juillet fait souffler un vent libertaire et foutraque. On pardonnera les quelques moments comiques qui tombent à plat d’autant plus volontiers qu’il serait paradoxal d’exiger une quelconque perfection pour un film qui clame avec autant de verve son désordre iconoclaste.

Trait d’union entre La bataille de Solférino et La fille du 14 juillet, Vincent Macaigne fait aussi l’acteur dans 2 automnes, 3 hivers, de Sébastien Betbeder (Acid) une sorte de comédie dramatique romantique où, périodiquement, les protagonistes, face caméra, racontent leur version des faits. Ce qui pourrait paraître artificiel, cette façon d’osciller entre scènes jouées et scènes racontées, par la démultiplication ainsi figurée apporte une plus-value romanesque, un volume particulier à l’intrigue.

Yann Gonzales, lui aussi connu par quelques aficionados pour ses courts métrages lyriques et sexués, a fait jaser la Croisette avec Les rencontres d’après minuit. Dans un lieu clos, des personnes arrivent peu à peu pour participer à une partouze dont l’horizon indéfiniment différé libérera des considérations sur le sexe, l’amour, les fantasmes, l’usure des couples… Avec sa mise en scène qui allie sens de l’artifice et vérité des sentiments, Yann Gonzalez demeure fidèle aux thématiques creusées au fil de ses courts métrages et ne laisse pas indifférent.

Emmanuel Chaumet, Justine Triet, Antonin Peretjatko, Vincent Macaigne, Sébastien Betbeder, Yann Gonzalez ont en commun de s’être d’abord illustrés dans le court métrage. On devrait encore entendre parler d’eux.


22 juin 2013