CANNES 2014 – 3
par Philippe Gajan
Bande de filles a vocation d’être un grand film populaire générationnel, une sorte de Saturday Night Fever au féminin en 2014
L’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs a donné lieu à une pièce en trois actes sur le thème de la rebellion.
Acte 1 : l’hommage à Resnais, l’éternel et immortel rebelle, celui qui, à chaque film, bousculait les conventions narratives et esthétiques. Celui qui de l’avis du fidèle Jean-Louis Livi, avait désormais du mal à financer ses envolées cinématographiques…
Acte 2 : les intermittents du spectacle s’invitent le temps d’un discours à la fois rassembleur et menaçant sur la scène. Appelant à la justice sociale et à la solidarité, ils se déclarent prêt à aller jusqu’au bout, promettent un tsunami et en appellent à l’union de la gauche, la vraie, pas la fausse, celle du gouvernement qui s’allie au MEDEF (le patronat français). Des réactions tièdes… Dommage, pourquoi Cannes ne rejoindrait pas de temps en temps le réel…
Acte 3 : Céline Sciamma monte à son tour sur scène avec ses quatre actrices. « Nous sommes filles, jeunes et noires, vous aussi! » harangue-t-elle la foule. « Puisque nous ne sommes pas le pouvoir, soyons alors le contre-pouvoir! ». Et son (sa) Bande de filles, troisième long métrage de la jeune cinéaste (Naissance des pieuvres, Tomboy) de prendre acte. Car ce qui séduit dans ce film, ce n’est pas temps l’histoire, classique (un jeune fille noire des banlieues, timide, en échec scolaire, régentée et battue par son frère au nom de l’honneur de la famille, se joint à un gang de filles et entreprend un processus d’émancipation), mais bien l’énergie et la foi entièrement dédiées à offrir une image positive à toutes les filles des cités. Plus nécessaire et moins factice que La haine, mais surtout antidote parfait à la France sarkoziste et rance des Intouchables, Bande de filles a vocation d’être un grand film populaire générationnel, une sorte de Saturday Night Fever au féminin en 2014. Car la cinéaste a oublié d’être bête. Ni naïve ni aveugle, elle n’offre ni solution ni rédemption à son (ses) héroïne(s), pas dupe du milieu dans lequel elles évoluent, un milieu violent, dominé par les hommes. Mais elle donne un espoir, l’envie de se battre. Et à nous l’envie de danser avec elle sur le Diamonds de Rihanna (après tout, Harmony Korine avait ouvert la voix en nous faisant pleurer sur du Britney Spears). Le film est filmé du point de vue de Vic (pour Victory) et c’est tant mieux car cela nous évite le pénible constat misérabiliste quand vient le temps d’aborder le sujet des banlieues, constat souvent en surplomb et, sous couvert d’humanisme social, dégoulinant de bonne conscience et d’arrogance. Céline Sciamma ne fait pas du reportage, elle mène un combat et leur (nous) donne les outils pour mener ce combat avec elle. Merci!
Coïncidence, l’ouverture d’Un certain regard se nommait Party Girl, co-réalisé également par des anciens de la FÉMIS (Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis). Cela pouvait mener à pas mal de confusions! Pourtant, il n’y a pas vraiment photo. Autant Bande de filles ne s’interdit pas l’espoir, autant Party Girl, englué dans ce cinéma tranche de vie post-Dardenne, nous fait partager quelques jours du quotidien glauque, tendance ciel gris avec (peu d’)éclaircies d’une ex-danseuse de cabaret en voie de convoler vers un troisième mariage. Il y a sans doute une vraie tendresse des cinéastes envers cette tribu (les trois enfants de l’entraîneuse, le futur mari), et ce d’autant plus que le scénario est basé sur la vie de la mère de l’un des réalisateurs. Mais, involontairement certes, il y a justement cette arrogance à vouloir donner en spectacle ces itinéraires de vie avec la simplification (et les clichés) qu’imposent cet exercice.
Demain, on vous parle du Saint Laurent de BB, qui nous a laissé baba. Une œuvre marquante à n’en pas douter, un grand film sur la création, la folie, sur une époque et sur des vies comme des étoiles filantes.
17 mai 2014