Cannes 2014 – 6
par Philippe Gajan
Il y a cette très belle métaphore dans Still The Water : le surfer prend la vague alors, que née au large, elle s’apprête à mourir en se fracassant sur le rivage; elle a alors accumulé une énergie formidable et c’est cette énergie qui va envelopper le surfer; comme englouti, submergé, il va connaître le néant et l’apaisement mais aussi être traversé, comme régénéré par cette formidable énergie.
Le nouveau film de Naomi Kawase est le conte éternel des cycles de la vie et de la mort, sur la transmission filiale et sur l’amour. Film d’une très grande pureté, il côtoie et apprivoise le sublime à chaque images, à chaque instant, sur chaque visage. À ce titre, l’une des plus belles scènes du film de Naomi Kawase (qui en regorge) est la mort de la mère. La mère de Kyoko est une chamane, elle vit sur le seuil qui sépare les vivants du monde des esprits. Elle connaît donc la mort et ne peut en avoir peur. Détentrice du grand mystère, elle part heureuse, et nul ne sait filmer le visage radieux et apaisé de celle qui accueille la mort comme Naomi Kawase. À croire qu’elle-même est une chamane. Après tout, toute son œuvre plaide pour ça.
Jamais donc la mort n’aura été filmée de façon aussi douce et sereine. Cette douceur et cette sérénité contraste avec les images saisissantes des éléments en furie. L’île d’Amani où se déroule le film, est en état d’alerte; un typhon est en approche. À son tour, cette furie semble communier avec les tourments de Kaito. Kaito aime Kyoko, Kyoko aime Kaito. Mais Kaito, qui vit avec sa mère divorcée, est profondément troublé par les aventures de celle-ci qu’il a surprise. Il ne comprend pas.
Et c’est normal, car ce sont les femmes les chamanes, elles qui ont accès à la connaissance, qui se transmettent cette connaissance. Les hommes ne peuvent qu’affronter leurs peurs et leurs lâcheté et accepter de lâcher prise. L’amour dans Still The Water est cet instant qui permet de basculer dans l’éternité, l’acte de transmission ultime, celui-là même qui fait que l’on ne meurt jamais. Il faudra que Kaito l’accepte pour finalement s’unir à Kyoko.
Comme toujours chez la grande cinéaste japonaise, la connexion avec le monde des esprits et la communion avec la nature est totale. Mais ce film semble être le plus apaisé qu’elle ait réalisé. Comme si, à l’instar de ses personnages, elle avait elle-même vaincu ses démons intérieurs. Dès lors, elle ose les valeurs traditionnelles comme la pureté de l’amour, la famille, la transmission filiale sans avoir à affronter le débat tradition / modernité. Au nom de quelque chose de plus grand…
Philippe Gajan
20 mai 2014