Cannes 2014 – 7
par Jacques Kermabon
À mi-parcours du festival, dans cette bulle cannoise si particulière où le temps, la mémoire et tant d’autres éléments qui nous fondent prennent une consistance particulière, on commence à esquisser un bilan. Les films s’enchaînent, il y a ceux de la compétition qui nous déçoivent d’autant plus que, dans le même temps, on aurait pu découvrir tel film syrien – en l’occurrence Eau argentée, Syrie auto-portrait, de Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan –, présenté en séance spéciale et que la rumeur décrit comme un chef d’œuvre.
La mémoire vacille, entremêle les films. Des images ou des formules nous reviennent sous forme de flashes sans qu’on arrive à se souvenir d’où on les tient. Dans quel film, par exemple, une personne dit à une autre « Il y a longtemps que tu n’es déjà plus en contact avec la réalité »? Il nous a fallu fouiller un bon moment dans notre mémoire avant que nous revienne qu’il s’agissait de sa mère à Yves Saint-Laurent, dans le film de Bertrand Bonello. La phrase pourrait d’ailleurs faire office d’exergue à notre existence de festivalier, mais aussi au film de David Cronenberg, Maps to the Mars, charge féroce sur les mœurs hollywoodiennes filmées comme un concentré, hors sol, de cupidité, de perversions, de névroses, d’hypocrisies et autres qualités humaines. Elle pourrait aussi bien renvoyer à Foxcatcher, de Bennett Miller, inspiré, comme Le Stratège, son précédent film, d’une histoire vraie, située dans le monde du sport. Deux frères, lutteurs et médailles d’or aux Jeux olympiques en 1984, se retrouvent sous la coupe d’un milliardaire qui s’est mis en tête de leur donner tous les moyens pour les faire gagner, et par là l’Amérique, à Séoul. On comprend peu à peu que cet homme, né comme un des plus riches des États-Unis, n’a sans doute jamais rien fait de sa vie. On saisit assez vite combien lui pèse le regard de sa mère (Vanessa Redgrave), peu amène et lucide sur les limites intellectuelles et physique de sa progéniture.
Avec The Homesman, de Tommy Lee Jones, Foxcatcher apparaît comme ces films de bonne facture alors qu’on attendrait de la compétition des écritures plus singulières. On ne sait jamais vraiment combien pèse dans la sélection les limites des films proposés et la volonté de présenter un aperçu aussi représentatif que possible de la production mondiale. Prenons Relatos salvajes, de Damian Szifron, pour nous, une simple succession de courts métrages à chute assez vulgaires, mais tournés avec de gros moyens. Le succès public que cette comédie a rencontré sur La Croisette et les ventes dans le monde entier qui ont suivi, semblent justifier sa sélection.
Relatos salvajes s’appuie sur une réalité mesquine ou médiocre – une jeune mariée trompée, un homme qui se fait enlever sa voiture pour la fourrière, un conducteur embêté par un autre sur une route déserte… – et qui dégénèrent jusqu’à une violence absurde, alimentée par la volonté d’un scénario échevelé.
On préfère de loin la réalité filmée par Naomi Kawase dans Still The Water, une communauté insulaire qui vit en accord avec la nature. Tout est frémissement dans ce film, les arbres et l’océan, les liens familiaux pour bouleversés qu’ils soient, les amours naissants des adolescents et de leurs cœurs qui battent au rythme de l’absolu, tous les échos suscités. Le film de Naomi Kawase nous a un temps réconcilié et avec le monde et avec le cinéma.
Jacques Kermabon
20 mai 2014