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Festivals

Cannes 2014 – 8

par Philippe Gajan

Pourquoi Mommy, le nouveau film de Xavier Dolan a provoqué une sympathie immédiate sur la croisette? Réponse : parce que le jeune cinéaste ose. À l’ère d’un cinéma relativement prévisible, ce n’est pas rien. Encore faut-il savoir oser. Et Dolan est passé maître dans cet art-là, avec un aplomb et une assurance qui s’affirme de film en film.

Ses « tics » de metteur en scène comme les ralentis lyriques, ses partis pris esthétique (il est crédité aux costume) qui frôlent le mauvais goût, son découpage et ses dialogues à la mitraillette? Il persiste et il signe. Quand son personnage de rebelle ouvre (littéralement!) le cadre, la salle applaudit. Xavier Dolan avance avec une insolence qui peut agacer mais qui finit par forcer le respect au nom de la liberté de dire et de faire.

Mommy a des airs de J’ai tué ma mère? Certainement, et pas juste par la grâce de la présence d’Anne Dorval (formidable). Par le sujet bien sûr aussi. Mais, c’est cent fois mieux maîtrisé et surtout cent fois plus ambitieux. Dolan ne fonce pas, il défonce, tant les académismes (ce qu’il faut ou ne faut pas faire) que les préjugés. Et c’est là qu’il ne faut pas confondre provocation et audace. Cronenberg, dans Maps in The Stars, provoque me semble-t-il, mais au final, sa critique d’Hollywood ou plus généralement d’un monde superficiel et rongé par la quête vaine et vide de célébrité, est totalement inoffensive (et extrêmement convenue). Dolan, lui, ne provoque pas, il embrasse à bras le corps un contenu miné : une mère mono-parentale, un fils disjoncté, une enseignante détruite. La caricature, il la dépasse, et ce trio infernal crève l’écran, à la limite dans chaque scène. Un cinéma « borderline », au bord du gouffre qui se met en danger à chaque instant. Un cinéma politique aussi, et pas juste par sa prémice : le film se déroule en 2015, alors qu’une loi vient d’être votée pour permettre aux parents impuissants de « livrer » leur enfant au « système de santé », ici dépeint comme un système carcéral, de se décharger au propre comme au figuré, métaphore prodigieusement juste de l’état de déliquescence du Canada de Harper et des sociétés occidentales en général. Ce faisant, Dolan réinvente (ou plutôt invente) le cinéma d’anticipation d’aujourd’hui, un cinéma certainement plus vivant, réel et contemporain que le cinéma dit « réaliste ».

Cri du cœur, hurlement(s) d’amour, ode à la liberté, Mommy est drôle et émouvant, certes, immergé dans la culture populaire (comme Springbreakers assumait Britney Spears ou Bande de filles Rihanna, Mommy assène Céline Dion… ou Oasis d’ailleurs) – et cela sans l’arrogance ou le dédain qui pointent dans certains films forcément moins généreux-, mais il est surtout le fait d’un cinéaste qui aime ses personnages, qui est fou de ses acteurs et qui a quelque chose à dire. Rebelle, il met en scène des rebelles, des gens qui refusent de se laisser faire ou de baisser les bras. La dernière image est exemplaire à ce titre!

Au côté d’un Bonello ou d’un Ceylan, il a aussi et heureusement sa place.

Philippe Gajan


22 mai 2014