Cannes 2015 : bilan et palmarès
par Jacques Kermabon
Cannes l’Asie domine, la France triomphe
La fête de clôture sur la plage du Majestic n’était pas achevée que des équipes s’affairaient pour démonter les barrières provisoires et redonner à la population cannoise les sens habituels de circulation. Très tôt le lendemain matin, le démontage des installations se poursuivait, il faudra plusieurs heures pour retirer au Palais et de ses alentours les traces de la présence du Festival. Les badauds en profitent pour poser sur le tapis rouge des fameuses marches, laissé à leur discrétion, tandis que les festivaliers refont le palmarès.
Largement critiquée, la présence française fut massivement honorée par les prix d’interprétation féminine, masculine et par la Palme d’or attribuée à Jacques Audiard. Il ne faut jamais trop se polariser sur les intitulés des prix tant la composition du palmarès relève surtout de l’exercice diplomatique consistant à attribuer, dans la meilleure diversité géographique possible, des places aux films qui ont émergé des débats entre les jurés. Sinon, comment ne pas être surpris par le prix du scénario à Michel Franco pour Chronic, non dénué de qualités, mais nous n’aurions pas pensé à celle-ci.
Hou Hsiao-Hsien, Hirokazu Kore–Eda, Jia Zhang-Ke, si on ajoute Un certain regard avec Kiyoshi Kurosawa, Apichatpong Weerasethakul et Naomi Kawase, l’Asie nous semble avoir largement dominé la sélection officielle. Le prix de la mise en scène à Hou Hsiao-Hsien n’est pas à la hauteur ni de son film, ni de la présence asiatique. Avec Dheepan, Jacques Audiard confirme l’habilité dans sa mise en scène de la violence pour une énième variation sur le scénario classique d’un homme d’apparence inoffensive qui, à la faveur d’un événement, réveille la pratique de la violence qu’il a en lui et dont il ne laissait rien transparaître. Dans le cas présent, il s’agit d’un immigré qui a combattu dans les rangs des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), le mouvement séparatiste écrasé par le pouvoir sri-lankais en 2009, et qui trouve refuge en France comme gardien dans une zone de non-droit, une cité livrée aux rivalités entre bandes de dealers.
Le Grand prix au jeune László Nemes pour Le fils de Saul est conforme à la rumeur qui faisait de ce film un favori. Il a en effet séduit pour avoir trouvé une solution moralement acceptable à la représentation des camps de la mort, qui lui a même valu d’être adoubé par Claude Lanzmann. Respect.
Le prix le plus surprenant est celui attribué à Emmanuelle Bercot – pourquoi les Français sont-ils toujours les plus longs et les plus larmoyants quand ils reçoivent des trophées ? – pour son interprétation dans Mon roi, de Maïwenn. Il fallait un jury peu francophone sans doute pour ne pas voir combien, à certains moments du film, son jeu sonne si faux qu’il rend mal à l’aise. Par contre, Rooney Mara pour Carol, de Todd Haynes, apparaît comme un excellent choix même si Cate Blanchett, sa partenaire, nous aurait encore plus comblé.
Au-delà des prix décernés par le jury officiel, Cannes c’est aussi l’occasion d’en attribuer une ribambelle d’autres. En attendant le palmarès, qui sera dévoilé dimanche soir, plusieurs prix ont déjà été décernés.
La Semaine de la critique a mis en avant cette année deux coproductions entre la France et l’Amérique latine : Tierra y la sombra, de César Augusto Acevedo, qui obtient le Prix révélation France 4 et le Prix SACD et Paulina, de Santiago Mitre, Grand Prix. Ce film a en outre séduit le jury FIPRESCI, qui lui a décerné le prix des sections parallèles. Ces mêmes critiques internationaux ont opté, dans la compétition officielle pour Son of Saul de László Nemes et pour Masaan, de Neeraj Ghaywan, présenté dans Un certain regard.
Parmi les autres prix, nous signalerons juste une nouveauté 2015, le discuté prix du documentaire, L’œil d’or, attribué, pour cette première édition à Marcia Tambutti Allende pour Au-delà d’Allende, mon grand-père.
Tous ces titres esquissent une bonne part du paysage cinématographique des prochains mois. C’est dire que nous aurons l’occasion d’y revenir.
Jacques Kermabon
Palme d’or : Dheepan de Jacques Audiard
Grand prix : Le fils de Saul de László Nemes
Prix de la mise en scène : Hou Hsiao-Hsien pour L’assassin
Prix d’interprétation masculine : Vincent Lindon dans La loi du marché de Stéphane Brizé
Prix du jury : The Lobster de Yorgos Lanthimos
Prix d’interprétation féminine ex-aequo : Rooney Mara pour Carol, de Todd Haynes – Emmanuelle Bercot pour Mon roi de Maïwenn
Prix du scénario : Michel Franco pour Chronic
Caméra d’or : Tierra y la sombra, de César Augusto Acevedo
Prix Un certain regard : Hrutar (Béliers / Rams) de Grímur Hákonarson
Prix du jury : Zvizdan (Soleil de plomb / The High Sun) de Dalibor Matanić
Prix de la mise en scène : Kiyoshi Kurosawa pour Kishibe no tabi (Vers l’autre rive / Journey to the Shore)
Prix un certain talent : Comoara (Le Trésor / Treasure) de Corneliu Porumboiu
Prix de l’avenir : Masaan de Neeraj Ghaywan – Ex aequo Nahid d’Ida Panahandeh.
25 mai 2015