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Festivals

Cannes 2015 : Carol vs Mon roi

par Jacques Kermabon

Désirs et passions sur la Croisette

La passion amoureuse, le désir irrépressible réunissaient les deux films de la compétition de ce dimanche cannois. Mon roi, de Maïwenn, décrit l’attirance d’une femme pour un charmeur haut en couleurs. Si le titre vient de la chanson d’Elli Medeiros, il en évoque une autre de Piaf, Mon homme, où celui qu’elle a dans la peau lui en fait voir justement de toutes les couleurs. Emmanuelle Bercot joue Tony, l’avocate éprise de cet homme, Georgio (Vincent Cassel), qui l’avait subjuguée dans sa jeunesse sans que lui-même l’aperçoive. L’autre histoire passionnelle, Carol, de Todd Haynes, adaptée d’un des premiers romans de Patricia Highsmith, met en scène le coup de foudre, dans les années 1950, entre une jeune vendeuse de grand magasin, Thérèse (Rooney Mara) et une femme bourgeoise mal mariée, Carol (Cate Blanchett). Le poids des appartenances à des milieux sociaux différents pèse ainsi sur ces rencontres, dans chacun des films. Rien de nouveau sous le soleil de Cannes ? Effectivement, et sur ces trames usées, seule la mise en scène peut faire la différence. À ce jeu, Todd Haynes s’en sort indéniablement avec plus d’éclat que Maïwenn.

Pour parcourir les épisodes de la relation de ses deux protagonistes, la réalisatrice, opte pour le flash back. Tony se retrouve dans un centre de rééducation après une chute du ski et a tout le loisir de se (nous) remémorer sa relation tumultueuse et de méditer une remarque de la psychologue, qui l’a reçue à l’entrée de son séjour, lui suggérant, à propos de son genou fracassé, de dissocier le mot en « je-nous ». La caméra de Maïwenn s’inscrit dans la convention d’un certain naturalisme français, une langue devenue neutre après que Pialat l’ait portée à son incandescence. On ne peut, par exemple, s’empêcher de songer au réalisateur de Loulou, au moment de la scène du repas en plein air, et la comparaison ne tourne pas à l’avantage de la réalisatrice, desservie, en particulier ici, par le sur-jeu d’Emmanuelle Bercot. Mais l’écriture lorgne aussi vers une tradition plus classique, habitée par un goût du dialogue, un sens de la répartie – savoureuse et jubilatoire au demeurant – et la part belle laissée à la prestation des acteurs. Chacune des apparitions de Vincent Cassel est, à cet égard, irrésistible de charme, d’humour, y compris quand il apparaît odieux. Du même coup, le film ne prenant consistance qu’à ces moments où, à la fois le personnage et l’acteur qui l’interprète font leur numéro, le reste nous laisse dans l’ennui et l’attente de son retour. Et ce n’est là qu’une des limites du film de Maïwenn.

Si Mon roi décrit combien la passion qui emporte Tony et Giorgio se révèle toxique, Carol dépeint surtout tout ce qui s’oppose à celle qui aimante Thérèse et Carol. Celle-ci a une enfant qu’elle adore et sait combien suivre la voie que lui dicte ses sentiments signifierait ne plus pouvoir voir sa fille. On la suit ainsi se débattre entre le cœur et la raison, entre une passion véritable et les conventions dont est pétrie la bourgeoisie hétérosexuelle avec laquelle elle doit composer. La jeune Thérèse, à peine insérée dans la société, a moins à perdre, et se trouve le plus souvent dans le rôle de celle qui attend et espère.

Gamme chromatique homogène, dans les tons verdâtres, jaunes et vieux roses, tournage en super 16, mouvements de caméra lents, le parti pris de Todd Haynes est de nous immerger dans des équivalents plastiques à une société corsetée qui ne voulait rien entendre d’une relation saphique. Le charme impérial de Cate Blanchett fait merveille dans cet écrin qui peut faire ressurgir des mémoires cinéphiliques le souvenir de certains moments de Douglas Sirk ou d’Alfred Hitchcock. Mais l’essentiel est que l’élégance et la tenue de la mise en scène rendent encore plus brûlant le désir qui consume les deux personnages féminins, contraints d’enfouir en elles tout signe trop apparent de leur attirance réciproque, et plus torrides les moments où les deux femmes peuvent enfin s’étreindre.

Et ce ne sont là que quelques une des qualités du film de Todd Haynes.


18 mai 2015