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Festivals

Cannes 2015 : Garrel + Desplechin

par Philippe Gajan

La vraie bataille du cinéma français Made in France se joue cette année à la Quinzaine des réalisateurs. Il oppose deux poids lourds, que l’on voyait forcément en sélection officielle mais passons… Donc Garrel en ouverture, Desplechin en plat de résistance, c’est en peu comme ça que c’est venu. Rohmer contre Truffaut, une certaine qualité d’un cinéma français d’antan, celle qui supplanta justement la qualité française d’avant. Pas tout à fait de la nostalgie, pas tout à fait…

Garrel tout d’abord, Garrel en divertimento, en mode très léger, marivaudage où l’homme, entendre le mâle (Stanislas Merhar, très bien), en prend pour son grade et où Clotilde Courau, la femme muse est formidable. Un couple, un peu bohème, un peu lisse (lui est cinéaste, enfin voudrait l’être, elle l’aide, car c’est le plus beau métier du monde d’aider l’homme qu’on aime…) et puis, des aventures, un peu par hasard, un peu par lâcheté, un peu par habitude… D’abord lui, parce que c’est un homme, puis elle… Et puis, comme lui est trop con, il la vire; il peut la tromper, c’est dans l’ordre des choses, pas elle, il ne peut lui pardonner. Viendra l’épilogue, et le spectateur n’est pas au bout de ses surprises. Garrel fait très court (70′), s’essaye à la comédie dramatique, nous la joue un peu chambre de bonne parisienne, sans précisément dater son récit qui ainsi ressemble à une petite ritournelle morale et coquine… Et là, c’est l’élégante voix de Rohmer, celui des contes moraux. Garrel n’a jamais fait autant nouvelle vague, côté grand frêre. Il y trouve une certaine fraîcheur, une légèreté qu’on ne lui connaissait pas, c’est en noir et blanc, c’est beau comme des souvenirs de jeunesse, et c’est L’ombre des femmes, un beau titre qui va sans doute comme un gant au cinéaste, à cet éternel séducteur qui rend ainsi aux femmes un peu de ce qu’il leur doit sans se donner, c’est le moins qu’on puisse dire, le beau rôle.  Cela peut sembler un peu trop léger justement, comme une pause. C’est pourtant dans la continuité de l’oeuvre et c’est quand même très maîtrisé et souvent très drôle.

Quand au plat de résistance, Trois souvenirs de ma jeunesse, un titre qui pour le coup met le couvert, en trois actes et un épilogue, non seulement apporte un incroyable vent de fraîcheur chez Desplechin mais aussi sur cette qualité française. Et le salut passe par le casting. Même si on retrouve le toujours impeccable Almaric qui reprend son rôle de Paul Dedalus qu’il avait créer il y a une vingtaine d’année dans Comment je me suis disputé….(ma vie sexuelle), ce sont ceux qui jouent les jeunes Amalric et Emmanuelle Devos qui crèvent l’écran, deux nouveaux venus dont on pressent que le film existe par eux, qu’il a été construit avec eux, avec leur énergie, leur léger décalage, leur beauté particulière. Eux, Paul (Quentin Dolmaire) et Esther (Lou Roy-Lecollinet), c’est le troisième acte, le plus long et de loin des trois souvenirs. Un sujet pas forcément original, l’amour de jeunesse passionné, obsessionnel, définitif, de ceux qui laissent des traces, des blessures qui ne cicatriseront pas.  Un récit qui devient linéaire, presque classique, truffaldien en diable, à ceci près qu’il a pour cadre Roubaix (pas franchement la ville la plus filmée de France, en tout cas pour ce type de récit) et les années 80 (avec la chute du mur télévisée devant laquelle Paul sanglote comme un adieu à son enfance). Et la grammaire impeccable de Desplechin fait merveille, Esther est filmée comme la Lolita de Kubrick, elle ressemble à toutes ses femmes enfants immortalisées à l’écran, aussi fortes que fragiles, saintes que putes. Et lui, Paul Dedalus, héros romantique passionné par l’anthropologie, il va vivre la plus intense des passions avant de partir (s’enfuir?) pour des années, ce troisième acte devenant une parenthèse forcément fondatrice, une longue rupture entre l’enfance et l’âge adulte, parenthèse de toutes les trahisons et de tous les serments, celle des vies que l’on brûle trop vite.

Alors Truffaut contre Rohmer ? Pour une fois, et très amicalement, c’est Truffaut qui gagne.

Philippe Gajan


16 mai 2015