Cannes 2015, J-1 : sur les starting blocks
par Jacques Kermabon
Sur les starting-blocks
On n’ose imaginer la logistique que suppose l’organisation d’un festival comme celui de Cannes, la précipitation qui doit régner tous azimuts les jours précédant l’ouverture, les heures passées à rattraper l’inévitable retard de toute manifestation. Rien ne transparaît quand nous mettons les pieds sur La Croisette. Le décor est déjà en place, la circulation dans les rues proches du palais a été modifiée, les tapis rouges sont déroulés sur les marches, les affiches couvrent les façades des hôtels de luxe, les bannières sur les balcons face à la mer signalent la présence de telle ou telle maison de production ou revue de cinéma.
Pendant plusieurs jours, dans notre bulle cannoise, la rumeur du monde ne nous parviendra qu’atténuée, rappelée parfois au prisme des images mouvantes sur grand écran qui nous happeront pendant les onze jours du plus prestigieux festival de cinéma au monde. Dépeindre, pour décrire notre existence de festivalier, comme enfermée dans une caverne platonicienne, fascinée par un royaume d’ombres, serait assez chic, mais un poil hypocrite tant la part de lumière joue beaucoup, parfois comme contraste troublant, dans la fascination cannoise, le soleil et l’azur de la Méditerranée, les paillettes, les robes de gala aux décolletés affriolants, les bulles de champagne, les fêtes jusqu’au cœur de la nuit.
La sélection est prometteuse, les habitués (Jacques Audiard, Paolo Sorrentino, Nanni Moretti, Kore-Eda Hirokazu, Gus Van Sant…) y côtoient des nouveaux venus (Justin Kurzel, Valérie Donzelli, László Nemes, Stéphane Brizé…). On s’amusera du chassé-croisé de réalisateurs passés à Un certain regard (Yórgos Lánthimos, Denis Villeneuve, Joachim Trier…) et qui se retrouvent en compétition, avec ceux, qui, ces dernières années, ont pu prétendre à une Palme d’or et seront visibles à Un certain regard (Naomi Kawase en ouverture, Apichatpong Weerasethakul, Brillante Mendoza).
Les annonces des différentes sections distillées au fil des semaines qui ont précédé l’ouverture du festival ont été scrutées avec la même attention que des augures interprétant des présages dans le vol des oiseaux.
Interrogé pendant la conférence de presse sur l’absence du film d’Arnaud Desplechin en compétition, Thierry Frémaux a répondu que les propositions françaises étaient cette année particulièrement riches et que Trois souvenirs de ma jeunesse faisait parti des options qui pouvaient compléter la sélection. Deux jours après, Edouard Waintrop annonçait que le Desplechin, «le plus beau » de son auteur, selon lui, figurerait à la Quinzaine des réalisateurs. Si l’ouverture avec le Garrel fait sens – habitué de Venise, il n’avait pas gardé un bon souvenir de sa présence en officielle en 2008 avec La Frontière de l’aube – on peut se demander si le rôle de la Quinzaine est de faire aussi ostensiblement office de salon des refusés de la sélection officielle. La sortie du Desplechin était prévue depuis longtemps aux dates du festival ; quel intérêt de lui offrir cette avant-première sur La Croisette dans une section dont on attend plutôt des découvertes et une offre véritablement alternative à la compétition officielle ? Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir, Trois souvenirs de ma jeunesse est inégal, avec des moments particulièrement touchants et d’autres passablement ratés.
Parmi les surprises que ménage ce festival, je signale juste la présentation d’un film posthume de Manoel de Oliveira, réalisé en 1982, juste avant Non ou la vaine gloire de commander. Ayant eu la chance de découvrir Visita ou Memórias e Confissões, à Lisbonne, lors de sa première présentation officielle, je le vois comme un des événements de cette 68e édition du Festival de Cannes.
L’ouverture, le plus souvent consacrée à des productions plutôt mainstream, tapageuse ou tape-à-l’œil, joue le contre-pied avec La Tête haute, de la réalisatrice Emmanuelle Bercot. Belle surprise ou pas ? Nous le découvrirons ce soir. Un beau titre en tout cas pour regarder bien droit devant nous pendant ce marathon qui nous attend.
Jacques Kermabon
13 mai 2015