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Festivals

Cannes 2015 : Mommy 2 ?

par Philippe Gajan

Mommy 2 ?

Les arcanes qui président aux destinées du film d’ouverture de Cannes sont décidément indéchiffrables… Après le navrant Grace de Monaco en 2014, Cannes semblaient vouloir laisser tomber le côté paillette / business (même si Catherine Deneuve montera les marches, ça aide quand même) au profit d’un recentrage sur le cinéma français d’auteur. Pourquoi pas… En ces temps d’austérité et de valeurs morales en détresse, un (mélo)drame réaliste s’imposait puisque la case écolo était prise par la clôture. Ce sera donc La tête haute d’Emmanuelle Bercot, cinéaste, scénariste et actrice sincèrement préoccupée par l’enfance délabrée (ou tout au moins en question) et plus particulièrement par les relations qui se nouent entre l’enfant et l’adulte. C’est elle derrière La puce ou Clément, c’est elle également qui coscénarisa Polisse. La dame connaît son affaire.

La tête haute, c’est Mommy trois ans plus tard. La mère est un peu plus cabossée que chez Dolan, le fils a 16 ans, donc trois ans de plus, l’âge où il a épuisé toutes les ressources de la justice juvénile, système qu’il côtoie à peu près depuis sa naissance. Mais l’amour de quelques cabossés de plus (une juge pour enfant presque à la retraite jouée par Deneuve, un éducateur passé par là…) et surtout l’amour avec un grand A, ouvrent le film sur un avenir possible. Voilà pour le côté mélo. Quand au drame, ce serait donc l’itinéraire d’une rédemption… Le malaise avec ce cinéma, c’est son incapacité à sortir d’un jeu très, trop moral, cette sempiternelle difficulté qu’a le réalisme à faire vrai sans multiplier les étiquettes, les clichés, les simplifications jusque et surtout dans ses outrances. Non pas que l’ensemble des situations ou des personnages ne soient pas vraisemblables, elles le sont, sans doute. C’est plutôt leur accumulation qui pose problème, cette capacité inhérente au cinéma de pouvoir prélever des histoires édifiantes et signifiantes et de les mettre bout à bout jusqu’à créer une sorte de vertige que d’aucun nommerait destin et que d’autres appellent scénario.  Et pourquoi au fond ? C’est une bonne question ! Car si la cinéaste a voulu nous dire que nul n’est mauvais au fond, et que chacun mérite une autre chance, ça, on le savait. Et pour ceux qui ne la savent pas encore, ce n’est certainement pas ce film qui les feront changer d’avis. Quand à la critique du système, de la société ou du concept de justice, c’est évidemment des enjeux trop complexes pour un seul film. Certes, La tête haute est beaucoup moins agaçant que Polisse, parce que moins poseur, plus tendu, et plus sincère. Pourtant, le cinéma peut tellement plus que cette impuissance liée à la dureté d’un constat.

Quand Dolan avec Mommy multipliait les figures de style, misait sur ce duo de perdants magnifiques, quelque part à côté de la plaque, il ne réduisait pas le réel, il le faisait sien. Il le rêvait en quelque sorte, mais ce faisant, il le transfigurait. Pareil d’une certaine manière pour Céline Sciamma avec sa Bande de filles. Emmanuelle Bercot, quand à elle, reste piégée. La porte de sortie qu’elle semble entr’apercevoir est l’unique horizon qu’elle s’accorde, un horizon si lointain qu’elle n’ose s’y projeter, comme s’il était interdit de rêver. Son cinéma, aussi sincère soit-elle, est ainsi asséché. Alors Mommy 2 ? Certainement pas, même si le propos, où plutôt la société en laquelle ces propos se déploient est furieusement ressemblante. La tête haute est un film juste, trop juste (entendez étriqué).

Philippe Gajan


13 mai 2015