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Festivals

Cannes 2015 : The Assassin de Hou Hsiao hsien

par Philippe Gajan

Objet à l’esthétique inouï, The Assassin signe le retour de l’immense Hou Hsiao-hsien. Peu de chose avait filtré sur son nouveau film, sinon qu’il serait sa contribution au genre des films d’arts martiaux (avec Shu Qi). Le résultat est un chef d’oeuvre de raffinement, une oeuvre d’art que l’on contemple ébloui le temps de deux battements de cils et d’un clignement de paupière, un monument d’une rigueur qui force l’admiration. À l’antithèse de ce à quoi les dernières années nous ont habituées (et aux milles et un avatars de Tigre et dragon), le film dont chaque plan à la savante composition semble être chorégraphié à l’instar d’un idéogramme chinois est une série de tableaux de maître dont le sens ne se révèlent pas immédiatement. Théâtrales et opératiques, ces compositions tissent une mystérieuse trame, simple au niveau de l’intrigue (dans la Chine de la dynastie des Tang, une jeune femme, Yinniang initiée par la « nonne », maître de l’ordre des assassins, est chargée d’éliminer un tyran qui est aussi son cousin) et infiniment complexe au niveau de ses ramifications profondes. Complexe comme chaque mouvement dans ce film dont l’extraordinaire précision confine à l’épure et semble être le fruit d’une sagesse millénaire. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : la recherche de la perfection opposée à la faiblesse de l’âme humaine. La nonne ne cesse de répêter à sa disciple Yinniang que sa technique à l’épée est impeccable mais que son âme est faillible. Cette dualité de l’âme et du corps qui doivent se fondre l’une à l’autre pour atteindre enfin à la perfection et l’infaillibilité est sans nul doute l’une des clés du film, mais The Assassin ne saurait s’épuiser en une phrase comme en mille, en un proverbe ou en tout autre déclaration sentencieuse. Même si The Assassin est sans doute aussi un hommage à ses prédécesseurs et notamment à King Hu (coïncidence, A Touch of Zen était présenté en version restaurée à Cannes cette année), ce n’est pas un film figé dans un posture ou tourné vers le passé, encore moins vers une quelconque nostalgie. S’il est difficile (et peut-être inutile) à décrypter, le frémissement qui l’habite d’un bout à l’autre suggère plutôt la piste d’une oeuvre vivante en constante métamorphose et formidablement contemporaine. Tant de beauté et de simplicité ne peut être le fruit que d’un apprentissage long et formidable, celui de Hou Hsiao-hsien comme celui de Yinniang.

Philippe Gajan


21 mai 2015