Cannes 2015 : Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa
par Philippe Gajan
Le nouveau film de Kiyoshi Kurosawa s’inscrit dans une grande et belle lignée d’oeuvres fortes sur le deuil. Malick (The Tree of Life) et Naomi Kawase (Still The Water) viennent spontanément à l’esprit. Du premier, il a la perception de notre très bref passage sur terre, de la seconde, cette spiritualité qui unit morts et vivants par-delà le passage de cette rive à l’autre. Avec les deux, il partage ce sentiment de communion avec la nature et de la dimension relative du temps et de l’espace.
Mais, Vers l’autre rive est aussi et avant tout un grand film de Kurosawa, un film de fantôme, cela va de soi. Pourtant, ce dernier marque un moment très particulier dans l’oeuvre foisonnante du cinéaste japonais, un moment que l’on pourrait qualifier d’apaisé puisque ce road movie a pour thème principal la réconciliation e l’acceptation: celle entre les vivants avec les morts, celle des morts avec les vivants, et plus généralement, celle des êtres blessés avec eux-mêmes. Une oeuvre apaisée et apaisante qui emprunte une structure particulière, propre d’habitude à des feuilletons. Avec un prologue, Mizuki reçoit la visite de son défunt mari Yusuke, disparu il y a trois ans, et, ensemble, ils partent sur les routes à la rencontre des personnes qui l’ont aidé ces dernières années, chacune de ces haltes constituant donc un épisode. On croise donc au gré de ce périple, des endeuillés, des vivants pourchassés par des fantômes, des fantômes qui n’arrivent pas à partir, de sfantômes errants, des vivants qui n’arrivent pas à mourir… Cela aurait pu être donc une longue liste de tâches à accomplir par notre fantôme justicier, c’est au contraire une magnifique et douce ballade sur la beauté du monde et de la vie, une méditation harmonieuse shintoïste sur l’acceptation de soi.
Kiyoshi Kurosawa délaisse donc ses fantômes vengeurs et la rage qui pouvait habiter ses univers, cette idée propre qu’ils s’immiscent par des failles, des aberrations. Dans un style plus méditatif et naturaliste, il s’attelle à l’une des choses les plus difficiles à réaliser en cinéma : atteindre la simplicité. Un cinéma épuré, même pas gâché par les envolées lyriques de la musique, attentif aux gestes quotidiens, enfin réconcilié avec lui-même pourrait-on dire. Les fantômes apparaissent ici tout naturellement, plein-cadre, et, chose curieuse, n’ont pas l’air de fantômes. Ils ne sont que le prolongement des vivants sur l’autre rive, un au-delà à peine caché sous le rideau d’une cascade.
Philippe Gajan
18 mai 2015