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Festivals

Cannes 2016 : Capital comédie (Dumont + Maren Ade)

par Jacques Kermabon

Capital comédie

Tandis que la Semaine de la critique s’ouvrait avec la comédie romantique de Justine Triet, Victoria, deux films de la compétition prenaient aussi le parti de nous faire rire.

Après avoir découvert la comédie burlesque avec la série télévisée P’tit Quinquin, Bruno Dumont y replonge en associant dans Ma Loute des non professionnels et des acteurs de renom : Juliette Binoche, Valérie Bruni-Tedeschi et Fabrice Luchini. Au début du XXe siècle, sur la Côte d’Opale dans le nord de la France, se croisent les pauvres du cru, pêcheurs de moules, familles nombreuses et de l’autre des notables de Tourcoing venus passer leurs vacances dans la maison « style néo-égyptien » qu’il ont fait construire et qui domine la baie et les dunes. Entre les deux, un tandem de policiers, sorte de Laurel et Hardy habillés en Dupont et Dupond, venus enquêter sur de mystérieuses disparitions de vacanciers dont on ne retrouve pas les corps.

Le suspens est assez vite éventé, ce sont les Brufort – leur grand fils, Ma Loute, donne son titre au film – qui bouffent littéralement du bourgeois après les avoir découpés en morceaux. On apprendra un peu plus tard que les représentants de l’autre classe sociale, les Van Peteghem, baignent dans l’inceste et la consanguinité.

Pour dépeindre cette illustration d’une lutte des classes naissante à l’aube du capitalisme, Dumont s’inspire du burlesque populaire des premiers temps, un moment où les genres n’étaient pas encore dissociés, où les chutes les plus invraisemblables étaient légion, où le spectaculaire primait sur le vraisemblable. Il ne singe pas pour autant ce cinéma des origines, il s’en remémore la dimension caricaturale puisée dans les dessins d’humour – on dirait du Albert Dubout en mouvement – pour mieux échapper, par le rire, à toute vraisemblance (psycho)logique. Tout est hénaurme, en particulier le jeu des acteurs, poussé dans des limites rarement supportables ailleurs et qui, ici, dans un miraculeux équilibre, s’associe avec l’humour noir, le glissement vers une certaine poésie fantastique et les élans lyriques du post-romantique Guillaume Lekeu qui accompagnent l’histoire d’amour naissante entre le laconique Ma Loute et un des enfants de la famille bourgeoise.

Plus d’un siècle de capitalisme plus tard, un retraité allemand prend conscience qu’il ne voit plus sa fille, ne sait plus grand-chose d’elle, devenue cadre très supérieure dans une entreprise internationale. Toni Erdmann, de Maren Ade, dépeint le hiatus entre un ancien enseignant post-soixante-huitard et sa fille, Inès, qui a intégré les normes et les règles du capitalisme moderne, quand les exigences de rentabilité conduisent à jongler avec les rachats de société et à licencier sans état d’âme. Son père, lui, a décidé de traverser la vie en s’amusant ; il adore prendre au piège ses interlocuteurs en endossant des rôles en société – il a toujours dans sa poche des dents protubérantes qu’il applique sur les siennes et une perruque improbable. Et quand il débarque par surprise à Bucarest pour retrouver sa fille en pleine négociation avec un chef d’entreprise influent, l’opposition des caractères offre un terrain comique propice aux quiproquos, aux embarras, aux hontes tout en faisant office de révélateur des mutations de notre société occidentale.

Le film est trop long, 2h42. Même si cela permet d’apporter mille et une nuances au moulin de la situation telle qu’elle évolue – la résumer conduit à la simplifier outrageusement –, arrive un moment où nous avons fait le tour de ce que le film nous propose.

Si les bourgeois de Ma Loute s’extasiaient sur le pittoresque des pêcheurs de moules, Inès n’a même plus le temps de regarder les pauvres de Roumanie dont elle aperçoit parfois les demeures miséreuses depuis la voiture avec chauffeur qui la conduit de son hôtel de standard international aux réunions qu’elle doit mener. L’amour passablement transgressif entre des enfants de classes opposées a laissé place à l’anonymat de la solitude et à des relations menées par calcul professionnel.

Mais parce qu’on est au cinéma, une rédemption finale par l’amour sauve de la mort trois des bourgeois de Ma Loute et conclue Toni Erdmann par une tendresse retrouvée entre le père et sa fille.

Le calcul est au centre d’un autre long film, signé du Coréen Park Chan-wook (2h25), une intrigue en costumes – l’histoire se passe dans les années 1930 pendant l’invasion japonaise – et à triple ressort. Adapté d’un roman, Mademoiselle appartient à ces récits-gigognes de manipulation, dans lesquels, revoyant la même scène sous un autre angle et avec des éléments qui nous avaient été dissimulés, nous comprenons que celui que nous pensions manipuler est celui qui l’était. La débauche de moyens déployés pour ce dispositif éculé nous fait regretter la simplicité du trait d’Alain Guiraudie. Les vraies surprises incessantes que Rester vertical sait ménager, les émotions diffuses qu’il distille valent mieux que le scénario programmé de Mademoiselle et son érotisme de papier glacé.

Jacques Kermabon

On peut trouver sur le site d’Arte des moments de tournage du film de Bruno Dumont filmés de sorte qu’ils soient visible selon un angle de 360°.

 


14 mai 2016