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Festivals

Cannes 2016 : Diamond Island de Davy Chou

par Philippe Gajan

Présenté à la Semaine, le premier long métrage de fiction de Davy Chou était attendu. Dans son court métrage Cambodia 2099, en 2014, on pouvait noter sa façon très personnelle de dépeindre la jeunesse urbaine cambodgienne en suspendant magnifiquement le temps. Restait longtemps dans la tête cette valse des couples chevauchant des scooters sur d’immenses places, sorte de ballets de fête foraines un peu tristes baignées par des lumières aux couleurs froides, un peu comme si les rebelles du dieu néon chers a Tsai Ming-liang avaient cessé de se battre. Cette image, on y revient comme un leitmotiv dans Diamond Island. Diamond Island est le symbole d’un Cambodge en mutation, un gigantesque chantier sur une île située à un pont de Phnom Penh. Ce chantier d’où sortent de terre tous les jours les tours arrogantes “à la mode européenne “, futur habitat de la classe des nouveaux riches est aussi le lieu où échoue toute la main d’oeuvre à bon marché issue des campagnes. On suit Bora, il a 18 ans, quitte son village et sa mère malade, à la recherche d’un avenir, d’un horizon et peut être de son frère , happé lui-même par la cité cinq ans auparavant. Diamond Island, on y naît parfois, on y échoue souvent et on y revient toujours . L’ailleurs, cette envie d’Amérique ou de Malaysie, est un leurre, un autre de ces horizons qui ne mènent nulle part. Le Cambodge, entre langueur et point de vue documentaire clinique, n’a plus de passé, les khmers rouges ont aculturé le pays, le privant en quelque sorte de son histoire et par la même privant sa jeunesse d’une histoire, et n’a pas encore de futur.

Alors cette jeunesse, esclave le jour d’une vision capitaliste du monde, un monde qui leur est interdite sinon par la prolifération des iPhone dernier cri ici le dernier avatar d’un lien tenu qui les unit à leur famille qui meurt au village, où aux gadgets de la mondialisation, ne vit que pour la nuit, ces ballades à moto, ces dragues douces, ces karaokes sur des chansons d’amour mélancoliques.

On pense un peu à Apichatpong Weerasethakul,  pour cette langueur, mais sans les fantômes,  car sans passé pas de fantômes.  On pense aussi à Jia Zhang-ke, pour cette plongée au sein de cette fracture béante entre tradition et modernité.  On pense surtout que Davy Chou, déjà réalisateur d’un documentaire sur la mémoire perdue du cinéma khmer (Le sommeil d’or en 2012) est un cinéaste très doué.

Philippe Gajan


15 mai 2016