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Festivals

Cannes 2016 : La mort de Louis XIV de Albert Serra

par Philippe Gajan

La mort de Louis XIV de Albert Serra

Impossible à nier, quand on va voir un film de Albert Serra : on sait déjà ce qu’on va voir. Des longs plans fixes ou presque, presque immobiles,  une façon unique d’épuiser le cadre, le temps, les visages et les corps de ses acteurs. On va voir une leçon, une leçon de (grand) cinéma, une leçon sur (avec) les grands mythes (les rois mages, Casanova,  Dracula,  et ici Louis XIV), une leçon sur le regard, sur notre monde. On sait aussi qu’on n’apprendra rien de nouveau sur les faits historiques. Mais on sait surtout qu’après cette expérience (car c’en est une) on ne verra plus rien pareil. Car sous leur apparente simplicité, ces films (le grand cinéma) eux ne s’épuisent pas. Ils sont constitués d’une infinité de couches (couches de sens, couches de sons, de couleurs, d’ombres et de lumières ). La preuve avec ce nouvel opus. Commençons par le commencement : il s’agit donc de la mort de Louis XIV.  Le titre l’indique et, de plus, on sait que Serra ne triche pas. Il a offert le rôle titre à Jean-Pierre Léaud. Outre l’immense plaisir de retrouver l’acteur, il y a là deux nouvelles pistes qui s’ouvrent à nous : la mort de l’acteur (Léaud se faisait rare depuis Le pornographe),  mais aussi celle de la nouvelle vague dont il fut l’acteur fétiche (Les 400 coups, c’était en 1959) et donc d’une certaine idée du cinéma.

Mais La mort de Louis XIV,  c’est aussi celle de l’état car Louis XIV est l’état, le pouvoir, le pouvoir absolu, etc. Et là, on peut s’en donner à coeur joie dans la métaphore ou la parabole. Louis XIV est mort de la gangrène, une gangrène auquel son médecin ne croit pas, comme on ne croit pas à l’évidence. Le roi est protégé par une armée des serviteurs, adulé par une armée de courtisans.

Ce n’est donc certainement pas un hasard si on a le sentiment que chaque réplique peut s’employer pour décrire le monde contemporain jusqu’à ces mots ultimes du médecin : “Je ferai mieux la prochaine fois”. Mais comment peut – il y avoir une prochaine fois?

En attendant, Louis XIV aime ses chiens et distribue ses salutations. Il explique à son petit – fils qu’il ne faut pas aimer la guerre, qu’il faut faire la paix avec ses voisins et protéger son peuple. Bref, il lui faudra faire mieux que lui. Sage leçon pour… la prochaine fois. La mort de Louis XIV est un grand film politique pour réfléchir sur l’état contemporain et sur l’histoire politique.

Philippe Gajan


20 mai 2016